Dans l'édition du quotidien El Watan du lundi 17 juin 2013, le scoop n'était pas dans les pages «L'actualité», mais dans la rubrique «L'analyse d'El Kadi Ihsane» (supplément économie). Qu'on en juge : «La Banque d'Algérie est sans doute le seul organisme au monde dont la prévision sur l'année 2012 s'est trompée de 100% sur le front de l'évolution des prix, moins de 5% (d'inflation) au début, presque 10% à la fin (….) plantage complet ; prévision délirante.» Rien moins ! Bien que ce qui est excessif soit insignifiant et que la condescendance est synonyme présentement de puérilité, l'égard dû aux lecteurs justifie de rappeler brièvement les termes du débat. La Banque d'Algérie a, effectivement, élaboré, en 2009, deux versions d'un modèle de prévision de l'inflation (Arima pour le court terme et X12 Arima pour un horizon plus éloigné) et un modèle de déterminants de l'inflation ; l'objectif étant de mieux identifier les variables économiques susceptibles d'expliquer l'évolution de l'inflation et d'en prévoir le niveau à diverses échéances. S'agissant de l'inflation de l'année 2012, qui a atteint 8,89 % en moyenne annuelle (et même 8,91 % en janvier 2013), et de sa prévision, El Kadi Ihsane, dédaignant les détails techniques des pratiques des Banques centrales au profit de «l'analyse», confond, hélas, entre objectif d'inflation et prévision d'inflation.Le taux de 5% (en fait une valeur médiane de 4%) annoncé par la Banque d'Algérie n'était pas une prévision de nos modèles, mais un objectif cible de la politique monétaire fixée par le conseil de la monnaie et du crédit. En revanche, les prévisions d'inflation, en moyenne annuelle, des services de la Banque d'Algérie pour la fin de l'année 2012, faites en mars 2012 ont été parfaitement conformes à l'inflation observée (telle que calculée par l'ONS). Les portes de la Banque d'Algérie sont grandes ouvertes à El Kadi Ihsane pour constater de visu que nos prévisions de mars 2012 situaient l'inflation à 8,49% en moyenne annuelle pour fin décembre 2012 (8,91% pour les prévisions d'avril 2012) et que l'inflation observée a été de 8,89%, soit une marge d'erreur de 4,45 %, loin des 100% annoncés par El Kadi Ihsane. Les marges d'erreur (seuil de confiance) de nos prévisions mensuelles ont toujours été de cet ordre de grandeur, ce qui témoigne de la robustesse et de la qualité des prévisions des modèles élaborés par la Banque d'Algérie. El Kadi Ihsane peut méconnaître les pratiques des Banques centrales dans l'accomplissement de leur mission de stabilité des prix. Rappelons-les brièvement. Les Banques centrales, qui adoptent un régime de ciblage explicite de l'inflation (Royaume-Uni, Canada, Suède, Australie, Nouvelle- Zélande…), annoncent chaque année un taux cible. Mais ce taux cible n'est pas un objectif à atteindre sur le court terme. Lorsque les taux d'inflation observés s'écartent du taux cible, les Banques centrales cherchent à ramener l'inflation au taux visé dans un délai variant entre un et deux ans (Banques du Canada, du Royaume-Uni et de Suède) ou à moyen terme (Australie, Nouvelle-Zélande). C'est pourquoi, le taux médian de 4% annoncé par la Banque d'Algérie n'est pas un objectif de court terme, mais de moyen terme car (i) la transmission des mesures de politique monétaire à l'IPC n'est évidemment pas instantanée et (ii) leur impact in fine sur l'inflation est parfois partiel, en raison du caractère multiple des causes de l'inflation. De plus, le taux ciblé par nombre de Banques centrales n'est pas forcément l'inflation de l'indice des prix à la consommation global (IPC global), mais souvent celui de l'IPC dite «fondamentale» c'est-à-dire hors produits volatils pour faire abstraction des fluctuations temporaires de certains prix et se concentrer sur la tendance sous-jacente de l'inflation. Par ailleurs, si les Banques centrales annoncent leur objectif de taux d'inflation dans le but d'ancrer les anticipations des agents économiques sur ce taux cible, croire un instant que ces dernières affichent leurs prévisions relève de la naïveté et la Banque d'Algérie ne déroge pas à cette règle. Le faire, notamment lorsque les prévisions indiquent une hausse substantielle, serait une invitation de ces mêmes agents à ancrer leurs anticipations sur cette prévision, ce qui amplifierait le phénomène inflationniste. Enfin, en Algérie, l'inflation ayant des causes multiples (hausse substantielle des revenus sans lien avec la productivité, imperfections des marchés…), la Banque d'Algérie a, dès la connaissance des prévisions de nos modèles économétriques en mars 2012, pris, pour sa part, les mesures de politique monétaire à l'aide d'instruments appropriées à la situation d'excès de liquidités du système bancaire pour infléchir la tendance ascendante du taux d'inflation (relèvement du taux de réserves obligatoires de 9 à 11 %, relèvement du plafond de reprise de liquidités de 1100 à 1350 milliards de dinars en avril 2012 et introduction de la reprise de liquidités à échéance de six (06) mois en janvier 2013). Pour conclure, M. Ihsane, votre jugement, superficiel et hâtif, à propos du «plantage complet et de la prévision délirante» de nos modèles de prévision de l'inflation est injuste pour les jeunes cadres de la Banque d'Algérie qui ont relevé le défi de l'élaboration de ces modèles «faits maison».