Le voile brûlé , de la Française, Viviane Candas, s'attaque avec douceur aux ravages de l'ordre moral. Annaba De notre envoyé spécial Ombre et lumière. Le dernier film de la cinéaste française, Viviane Candas, Le voile brûlé, explore ces deux zones avec une rare philosophie. Le débat suscité par la fiction, lundi soir, dans la cour de l'ex-lycée Pierre et Marie Curie, à Annaba, à la faveur de la cinquième édition de «Cinéma sous les étoiles» organisée par l'Institut culturel français (IFA), donne un petit aperçu des lectures qu'on peut faire de ce film. A l'origine, Viviane Candas s'est inspirée d'un fait réel, un fait dramatique dont la scène fut Mostaganem, la ville algérienne du théâtre, pour écrire un roman, adapté sur grand écran ensuite. Le théâtre est justement au cœur de l'histoire racontée par Viviane Condas. Dans une cité, quelque part en France, un garçon (Stephane Nahal) vit avec sa sœur (Sonia Amori). Les parents ne sont plus de ce monde. La jeune fille, qui ne quitte pas la cité HLM, participe à un club de théâtre, unique ouverture sur le monde. Elle incarne Iphigénie, celle qui devait être sacrifiée pour libérer les vents permettant aux vaisseaux grecs de rejoindre et d'attaquer Troie. Le frère de la jeune comédienne, qui subit la pression d'un groupe de jeunes du quartier, lui et ces jeunes, tous habillés en noir et menaçants, ne veulent pas qu'elle continue ses cours de théâtre. Ils tentent de lui faire changer d'avis. Les gardiens du temple, qui peuvent représenter un certain fanatisme, sont toujours là, en face, en bas, derrière les grillages, de jour comme de nuit. Qu'ont-ils fait de leur vie ? Rien. Le frère de la comédienne, souvent filmé de dos, est, lui aussi, un looser, un homme brisé. La société dans laquelle il vit veut-elle de lui ? L'accepte-t-elle avec ses différences ? Il passe son temps à chasser les rats. «C'est à l'Etat de le faire», disent les représentants de l'ordre moral. La sœur cherche la lumière, le frère va vers l'obscurité. Dans la cuisine, le mouvement de balançoire de la lampe met en valeur cet aspect de l'existence. Le compromis est-il possible ? Existe-t-il une zone grise entre l'ombre et la lumière ? La sœur négocie, le frère est hésitant. Finalement, elle jouera Sherazad des Mille et Une nuits, voilée. Le frère accepte en lui avouant qu'il avait juré à ses parents de la protéger. Mais, c'est au théâtre qu'on fait tomber les masques. Le théâtre, c'est également la liberté, les murs brisés. Les moralisateurs de la rue l'ont parfaitement compris. Le frère protecteur, comme hier le père castrateur, connaîtra une mutation rapide. Leçon de tolérance La violence est la sœur jumelle de la haine. Dans le film de Viviane Candas, il n'y a aucune référence à la religion. On peut seulement supposer qu'il s'agit d'une forme d'intégrisme naissant, qui peut être islamiste, fasciste ou autre. Les quatre moralisateurs du quartier portent de petites moustaches... Le film, qui s'appuie sur un mélange de récits où l'on trouve trace de la tragédie grecque, se veut anti-réaliste, mais fortement lié au monde d'aujourd'hui. L'enfermement dans les cités, la solitude, l'inceste, l'absence des pères, la haine de l'art, l'incompréhension, la perte de l'espoir, le statut de la femme, les dealers...Tout y est dans ce film. Filmés souvent en plans serrés, les comédiens dégagent une fraîcheur certaine. La cinéaste a sciemment choisi d'aller jusqu'au bout de la tragédie. Aucune concession de sa part pour ne pas dénaturer le récit et plaire aux «bien-pensants». Lors du débat à Annaba, les intervenants ont abordé la question du voile, alors que ce n'est pas du tout le thème du film. Certains se sont dit «effrayés» par la réalité évoquée dans le long métrage. «Pour moi, le voile est un accessoire de théâtre. Pendant la guerre d'Algérie, les Algériennes cachaient des armes sous leur voile. Le voile est un signe. On peut l'interpréter d'une manière différente dans le contexte culturel et les époques», a déclaré Viviane Candas, en réponse aux questions posées. Curieusement boudé par les festivals européens, Le voile brûlé a été projeté au Festival international du Caire et au Festival d'Oran du film arabe. Plusieurs communes françaises ont refusé de programmer le film dans leurs manifestations cinématographiques. «Par crainte des réactions que le film peut susciter. A Marseille, un commando de femmes voilées très agressives sont venues me poser des questions lors d'un débat. Selon elles, je devais m'intéresser à l'Afghanistan et à la Palestine...», nous a confié Viviane Candas. Le voile brûlé sera projeté le samedi 6 juillet, à 17 h, à la Cinémathèque d'Alger en présence de la cinéaste. «Pour moi, c'est un grand honneur. J'attends beaucoup de cette projection. La Cinémathèque d'Alger est le lieu où j'ai découvert le cinéma quand j'étais petite. Mes parents m'y emmenaient souvent. Mon père adorait le cinéma russe. Il m'a fait sortir de la projection d'un film de Féderico Fellini, Huit et demi. Il trouvait le film décadent. A l'époque, c'était le socialisme (1963), la dérive existentialiste et la dolce vita italienne, ça leur passaient au-dessus de la tête ! Moi, je ne voulais pas sortir... Les films italiens m'ont fait adorer le cinéma», s'est souvenue Viviane Candas. Yves Mathieu, avocat du FLN durant la guerre de Libération nationale, est le père de Viviane Candas. Il était parmi les rédacteurs des décrets de mars sur l'autogestion, en 1963, du temps d'Ahmed Ben Bella. «Mon père a été exclu du Parti communiste français parce qu'il était avocat du FLN. A l'époque, ça ne plaisantait pas», a rappelé la cinéaste. Viviane Candas entend introduire une demande de tournage aux autorités algériennes pour poursuivre la préparation d'un documentaire sur Yves Mathieu. «En France, on a rejeté ma demande d'avance sur recettes pour les besoins de ce film», a-t-elle précisé.