A notre arrivée à El Kalaâ, vendredi 5 mai, alors que nous nous dirigions vers l'école coranique Ibn Badis où a eu lieu la commémoration du 135e anniversaire de la mort du Cheikh El Mokrani, leader de l'insurrection de 1871, un jeune lançait à la cantonade : « Aidez-nous à sortir le village de sa léthargie. On ne vient ici que pour commémorer et repartir ensuite ! » La cour de l'école grouillait de monde. Ce sont les enfants du village qui font un court come-back. Le temps de respirer l'air revivifiant d'El Kalaâ. Ils sont venus d'Oran, d'Alger, Constantine, Djelfa, Blida, Sétif... et l'énumération n'est pas exhaustive. M. Guenzet est un industriel établi à Blida. Un miss n't-murt, un enfant du village. En 1939, à l'âge de 10 ans, il dit avoir quitté le village pour apprendre un métier. Aujourd'hui, il est à la tête de plusieurs usines mais pas une dans la région d'El Kalaâ qui en rêve. Il explique les raisons : « Ce n'est pas que je ne veuille pas investir dans la région. En 1990, nous étions une douzaine d'industriels à demander aux autorités de la wilaya de Béjaïa la création d'une zone d'activité à Boni. Nous avons certes reçu des réponses favorables mais on nous a demandé de payer les lots de terrain à raison 3000 DA le mètre carré alors qu'à Alger des investisseurs bénéficiaient à l'époque de terrains au dinar symbolique. Nous avons donc opté pour travailler ailleurs ». Dans la salle de l'école, une conférence-débat était animée par Djamel Seddiki, historien, et le P/APC d'Ighil Ali, M. Bouhadi, sur l'insurrection de 1871. Au fond de la salle, des jeunes nous entretiennent sur le marasme que vit la contrée. Tayeb, 24 ans, raconte qu'il vit seul avec sa mère. De quoi vivent-ils ? « Dès fois, je vends de l'huile d'olive, d'autres fois je travaille comme manœuvre, sinon c'est le chômage ». Farid, 24 ans également, ne prend pas la vie au sérieux. Moqueur, il raconte son quotidien qu'il tourne en dérision. Il travaille, selon ses dires, comme manœuvre au village « sinon, je tiens les murs...Tenez ! Un jour un mur s'est écroulé à trois mètres de moi... ». Eclats de rire. Jugurtha, son frère, est mieux loti puisqu'il travaille comme menuisier à Béjaïa. Dans une autre salle était proposée une exposition. Des ustensiles anciens, des manuscrits rédigés en arabe et datant de plusieurs siècles ; un parchemin représentant l'arbre généalogique de toutes les familles de Kalaâ Nath Abbas et appartenant à Kaci Seddiki, 82 ans. Une véritable mémoire vivante. Une équipe de cameramen d'une boîte audiovisuelle algéroise le sollicite pour un entretien. Il décline la sollicitation gentiment en promettant un rendez-vous dans la capitale. M. Belkacemi, qui prépare un documentaire sur l'insurrection de 1871, nous révèle qu'il a eu un témoignage d'une descendante d'un déporté en Nouvelle-Calédonie. Dans la même salle d'exposition, il y avait le sabre d'El Mokrani et la porte d'entrée de sa demeure. Trois motifs symbolisant les trois confessions, l'Islam, le judaïsme et le christianisme, sont poinçonnés sur l'épaisse porte en bois. Car à une époque lointaine, il y avait à El Kalaâ, en sus des musulmans, des juifs et des chrétiens. Ces deux dernières communautés vivaient sous Laânaïa (protection) du royaume des Ath Abbas. Les vestiges d'El Kalaâ, dont la plupart sont en ruine, ne bénéficient malheureusement pas de travaux de restauration. Sollicité sur le sujet, le P/APC d'Ighil Ali répond que la mosquée d'El Mokrani, qui d'ailleurs renferme sa tombe, gagnée par les fissures, devra bénéficier de travaux de confortement. Une action qui attend l'étude promise par la direction de la culture au niveau de la wilaya de Béjaïa. La commémoration a pris fin sous une pluie battante. Nous avons pris l'unique fourgon de transport qui dessert le village. A mesure que l'on s'éloigne d'El Kalaâ, l'on s'enfonce dans un épais brouillard. En bas, un précipice d'une profondeur à vous donner le vertige. La route est crevassée et cahoteuse. Le fourgon s'arrête. Un homme mouillé jusqu'au os monte avec sa pelle. Un peu plus loin, quatre autres hommes montent dans le fourgon munis des mêmes outils de travail. Des ouvriers de la commune d'Ighil Ali chargés de dégager le tronçon des pierres qui chutent de plus haut. Un véritable danger qui guette les conducteurs. « Un automobiliste a échappé tout à l'heure de justesse à l'accident suite à un déferlement de pierres », nous confie l'un des ouvriers.