Lorsque le ministre égyptien de la Défense, le général Abdelfattah Al Sissi, a annoncé à la télévision la destitution de l'ancien président islamiste Mohamed Morsi, beaucoup avaient parié sur la réédition en terre égyptienne du scénario catastrophe algérien. Les mêmes causes n'ont pas produit – pour le moment – les mêmes effets chez nous et au pays des pharaons. L'arrêt du processus électoral en Algérie et politique en Egypte pour une même finalité – barrer la route aux islamistes dont on découvre toujours après coup, une fois intégrés dans le jeu politique, que leur idéologie n'est pas soluble dans la démocratie – n'a pas poussé les pro-Morsi à prendre le parti de la violence armée. Cela, en dehors des deux ou trois actions isolées ayant ciblé des services de sécurité enregistrées dans le Sinaï et qui pourraient être, selon toute apparence, l'œuvre de groupuscules extrémistes incontrôlés. Les observateurs, qui suivent le dossier du mouvement islamiste, auront été frappés, en effet, par le ton particulièrement mesuré des chefs spirituels et des responsables de la confrérie des Frères musulmans égyptiens qui ont appelé à manifester pacifiquement pour le retour à l'ordre constitutionnel et à éviter l'effusion de sang des Egyptiens. L'armée, dont pourtant les partisans de l'ancien président déchu ont qualifié, sans fioriture, la décision de déposer Morsi de «coup d'Etat militaire», est paradoxalement épargnée, à ce stade de la crise, dans la confrontation qui oppose, sur le terrain, les partisans des deux camps, islamiste et démocrate. Les déclarations foncièrement politiques et stratégiques de hauts responsables des Frères musulmans égyptiens exhortant leurs troupes à ne pas s'en prendre à l'armée ont pris à contre-pied tous ceux qui attendaient une avalanche de fatwas légitimant comme ce fut le cas en Algérie, le sang des militaires et des «taghout» laïcisants égyptiens. Comment faut-il interpréter l'attitude des islamistes égyptiens qui se présentent comme une force tranquille, victimes d'un déni démocratique, multipliant les déclarations politiques sur leur volonté de se faire entendre par la voie pacifique ? Les leçons du syndrome algérien, qui a disqualifié les islamistes radicaux aux yeux de l'opinion internationale, ont-elles pesé dans la stratégie de gestion de la crise institutionnelle égyptienne par les islamistes ? Sûrement. Les appels au djihad et les discours enflammés que nos islamistes se sont empressés de lancer et de répandre, en tant qu'arme de négociation au début, puis arme tout court par la suite, semant la peur et le chaos dans la société, ne se sont pas invités, pour l'heure, dans le débat en Egypte. Faut-il pour autant conclure que les islamistes ayant fait le choix d'entrer dans la compétition politique et électorale en respectant les règles démocratiques ont opéré leur mue politique et idéologique et revêtu des habits d'hommes politiques normalisés, rompant avec les tentations suicidaires d'arriver au pouvoir par tous les moyens, y compris par la force ? Choix tactique ? Les prochains jours nous le diront. Une chose est certaine, c'est que les mouvements de rue de cette nature, lorsqu'ils s'installent dans la durée, face à des positions irréconciliables, deviennent difficiles à canaliser. Et finissent fatalement par échapper aux politiques avec ce risque potentiel de nourrir les extrémismes les plus fous.