A partir de ce début du mois de juillet 2013, qui coïncide avec le lancement de la campagne récolte/production de tomate industrielle, la gestion des subventions de l'état, qui était jusque-là du ressort des Directions des Services Agricoles (DSA), est passée à l'Office National Interprofessionnel des Légumes et des Viandes (ONILEV), a-t-on appris auprès de la DSA de Annaba. En prenant, quelques mois auparavant, cette décision, le Ministère de l'Agriculture et du Développement rural entend mettre un terme à l'anarchie et à la fraude que plusieurs professionnels de la filière de transformation de la tomate industrielle ne cessent de dénoncer. D'autant que vers la mi-mars de l'année en cours, une enquête fut déclenchée par le département de Rachid Benaïssa. Les équipes d'enquêteurs dépêchées ont passé au peigne fin les dossiers relatifs aux subventions dont ont bénéficié les 17 unités en activité, implantées pour la majorité à l'est du pays. Et si pour l'instant rien n'a officiellement filtré sur les conclusions de l'enquête, des sources dignes de foi ont fait savoir que le ministère de tutelle aurait réagi aux informations, de plus en plus persistantes, qui lui sont parvenues. Elles font état de manœuvres frauduleuses, auxquelles auraient eu recours nombre d'agriculteurs et conserveurs, en vue de profiter des subventions : l'une incitative à la production, de l'ordre de 4 dinars par kilogramme, et l'autre de 1,5 dinar par kilogramme au profit des conserveurs. Le but étant de stabiliser et surtout de réguler le marché de la tomate fraîche destinée à la transformation durant la période de collecte et de livraison s'étalant de juin à juillet. C'est ainsi que, nous a-t-on expliqué, grâce à des contrats virtuels et de fausses déclarations,— majorations des superficies cultivées, des rendements à l'hectare ainsi que des volumes livrés à l'usine — pas moins de deux milliards de dinars ont été indûment empochés au titre de subventions entre 2009 et 2011. La saison 2010-2011 était celle de tous les records. Durant cette période, l'un des conserveurs a, au total, brassé à lui seul environ 110 millions de dinars, en déclarant avoir transformé 20 000 t/an de tomates fraîches, alors que ce sont seulement 1000 tonnes qui lui avaient, en réalité, été livrées à l'usine. Mode opératoire Les contrats virtuels établis sur la base de la carte d'agriculteur, est une autre option, la plus efficace, car elle rapporte gros. Comment s'organise ce type de fraude ? Des intermédiaires, vieux connaisseurs des rouages du «métier», procèdent, dès le début du mois de janvier, à la collecte de cartes d'agriculteurs «louées» par leurs propriétaires respectifs à des prix oscillant entre 100 000 et 400 000 DA. Une fois le maximum de cartes obtenues, ces intermédiaires font le tour des usines de transformation. Celles «intéressées», s'empressent d' établir, avec minutie, des dossiers sur la base de vraies/fausses conventions pour être éligible aux subventions : 1,5 DA/kg et 4 DA/kg à multiplier par le tonnage déclaré dans les conventions en question. Fin prêt au démarrage de la campagne récolte/transformation, le transformateur les dépose à la subdivision agricole. Après «vérification», ils sont soumis pour approbation à la Chambre de l'agriculture qui, à son tour, les transfert à la DSA à qui revient le dernier mot. Le partage du pactole, qui s'effectue suivant l'arrangement convenu entre les transformateurs et les intermédiaires-agriculteurs, intervient au terme de la campagne, c'est-à-dire lorsque les subventions auront été débloquées par le ministère de tutelle. Ainsi, ils sont plusieurs parmi les conserveurs à avoir pu allègrement profiter de millions de dinars, en usant et abusant de subterfuges. Pouvoir les déceler était pour les enquêteurs mobilisés par les services du docteur Rachid Benaïssa, quasiment impossible. Et pour cause : «Dépêcher une commission d'enquête avant que ne soit clôturé le bilan de campagne, soit le 30 avril de chaque année, est quelque peu curieux. Car sans ce bilan, il serait difficile, voire impossible, de cerner toutes les données relatives à la production». Mieux, 40 000 tonnes, bon an mal an, de double concentré de tomate, sont annuellement déclarées par les 17 unités en activité, alors que le volume concrètement réalisé ne saurait dépasser les 25 000 à 30 000 tonnes, assurent nos sources. Aussi, ont-elles tenu à souligner, contrairement à ce qui vient d'être annoncé par le ministère de l'Agriculture — la production de tomate industrielle en nette évolution, passant de 7,7 en 2011 à 9 millions de quintaux en 2012—, les importations massives de triple concentré de tomate (TCT) ont réduit à néant tous les efforts visant à relancer cette culture. «Dans ses statistiques, le ministère de tutelle s'appuie sur ce qui est déclaré par les agriculteurs et transformateurs. Que ce soit en termes de superficies, de rendement à l'hectare ou de production de DCT (double concentré de tomate), les chiffres sont souvent majorés dans le but évident de prétendre aux subventions de l'Etat», soutiennent nombre de transformateurs et agriculteurs, affiliés respectivement à l'association des professionnels de la filière tomate industrielle, Actom, et aux Chambres d'agriculture de Annaba et d'El Tarf. Selon nos interlocuteurs, une bonne partie du DCT mis sur le marché est en fait fabriqué à partir du TCT importé surtout de Chine. Pour s'en convaincre, ajoutent-ils, il suffit d'un simple calcul : «Le prix d'une boîte de DCT de 400 g oscille entre 40 et 60 DA. Pour obtenir un kg de DCT, il faut au moins 4 à 5 kg de tomates fraîches que le transformateur achète à 12 DA/kg en plus de plusieurs autres charges incluses dans le prix de revient. En revanche, pas moins de 1200 boîtes de DCT peuvent être obtenues à partir d'un fût de TCT dont le kg est cédé sur le marché à 105 DA en moyenne.» La qualité du TCT est par ailleurs souvent décriée par certains professionnels de la filière. «Nous avons l'impression que tout est fait pour encourager la fraude et protéger ses auteurs : sinon comment expliquer le fait que les pouvoirs publics aient décidé, depuis plus de six ans, que le contrôle de la qualité du TCT importé se fasse à posteriori, soit après sa transformation en DCT, alors qu'auparavant, pas un seul fût ne pouvait quitter le port avant d'être préalablement soumis à toutes les analyses requises», s'interrogent nos interlocuteurs. C'est dire toute l'anarchie qui sévit dans la filière, où chacun trouve son compte, les victimes étant le consommateur et le Trésor public sur le dos desquels nombreux sont ceux qui se sucrent.