- Avez-vous déjà eu l'occasion de le rencontrer personnellement ? Oui, à de nombreuses reprises, puisque après avoir été contraint de quitter l'Algérie en 1965, il est devenu reporter à l'Humanité puis directeur général du journal. Même à la retraite, on le voyait souvent et il continuait à transmettre ses mémoires. L'Algérie était le combat de sa vie, c'était le combat des communistes algériens et français, et il l'a toujours dit. L'Algérie est un chapitre de sa vie qui a beaucoup compté pour lui, plus que tout autre. C'était un homme discret, souriant, d'une grande douceur, et ce, même quand il affirmait des convictions très fortes. C'est d'ailleurs un homme de conviction qui se définissait comme un militant communiste, anti-impérialiste. Il avait à cœur de transmettre à la jeunesse l'essence des combats menés contre le fascisme et le colonialisme.
- Quelle était la relation d'Henri Alleg à l'Algérie ?
Il était resté très attaché à l'Algérie. Jamais d'ailleurs il ne se permettait de porter un jugement sur les chemins qu'a pu prendre l'Algérie après l'indépendance, cela relevait davantage de son engagement internationaliste. Il parlait souvent de son équipe à Alger républicain et de son expérience au sein du journal. En particulier, Kateb Yacine était le journaliste auquel il était le plus attaché, il le décrivait comme une personne brillante. Il a quitté l'Algérie dans des circonstances difficiles, mais en même temps je ne l'ai jamais entendu porter un jugement sur les choix de l'Algérie indépendante. Il y est d'ailleurs retourné. Ce qui est sûr, c'est qu'en arrivant à Alger en octobre 1939, ce qui l'avait frappé, c'était la forme d'apartheid dans laquelle étaient tenus les Algériens.
- Que pensait Henri Alleg de l'Algérie indépendante, même s'il ne le disait pas publiquement ?
J'ai mené une interview avec lui en 2012 à l'occasion du cinquantenaire. En substance, il répétait que l'indépendance est une de ses plus belles victoires. L'essentiel pour lui était d'avoir combattu pour libérer l'Algérie du joug colonial. Il trouvait également dangereux de penser que l'Indépendance avait été volée aux Algériens, car c'était le refus total de voir ce qu'elle a apporté aussi. Il était au fait de la difficulté que rencontre la jeunesse algérienne, mais pour lui, l'Algérie restait une conquête historique inestimable.
- Henri Alleg est-il Algérien finalement ?
Pour moi il l'est. D'ailleurs, il est citoyen algérien puisqu'il avait le passeport algérien. Ce qui est certain, c'est qu'il était Algérien de cœur et de combat, un pays duquel il gardait un souvenir très vif. Il évoquait la lutte d'indépendance, mais aussi des luttes ouvrières du petit peuple d'Alger auquel il était fortement lié de par son engagement communiste. Henri Alleg connaissait toutes les figures du mouvement nationaliste algérien et à mon sens, il était comme eux une grande figure du combat pour l'indépendance, et déjà avant la guerre. C'est sous sa houlette qu'Alger républicain a pris une tournure très franchement anticolonialiste. Il défendait l'idée d'indépendance algérienne avant que l'insurrection ne commence le 1er novembre 1954.
- Quelle lecture contemporaine de la Question feriez vous, au-delà du cas algérien ?
Concernant La question, Henri Alleg précisait à maintes reprises qu'il n'avait pas écrit ce livre pour lui-même, mais qu'il avait témoigné pour les milliers de patriotes algériens qui étaient passés entre les mains des tortionnaires. Il répétait toujours cela et insistait sur le fait que des milliers d'Algériens étaient passés par la gégène, par les sévices. Ce qu'on appelait «les disparus» et qui avaient été torturés à mort et dont l'armée française avait fait disparaître les corps ont beaucoup marqué Henri Alleg. Il n'hésitait pas à dire que les méthodes mises au point par l'armée française ont été exportées en Amérique latine, aux Etats-Unis. Pour lui, le parallèle était clair entre El Biar et des lieux comme Abou Ghraïb.