Encore un repère mémoriel qui, humblement, s'en va dans la discrétion et la simplicité, vertus qui étaient congénitalement les siennes, pour l'avoir accompagné sa vie durant. Une vie pleine, dense et très féconde à travers un siècle agité et parsemé d'incertitudes et d'épreuves cruelles subies par une nation engloutie dans la fatidique et longue nuit coloniale. L'historiographie de l'Algérie a imprimé à jamais ce nom prestigieux de Habib Rédha, un homme qui a donné le meilleur de lui-même par l'exemple du sacrifice pour la libération de son pays et la pérennité de la culture de ses ancêtres. Nous étions à sa recherche depuis des années et le destin a voulu que nous le rencontrions avec les membres de l'Association, aux obsèques de l'éminent cheikh Abderrahmane Djilaliet et la monumentale Keltoum, décédés et inhumés tous deux le 13 novembre 2010, le premier, au cimetière de Sidi M'hamed, et la deuxième au cimetière d'El Alia. Ce fut la première fois et en cette affligeante circonstance d'émotion que nous étions en compagnie de Habib Rédha pour rendre un ultime hommage à d'immenses disparus référents majeurs du savoir et de la culture algérienne. Depuis, le contact a été maintenu avec celui-ci, jusqu'au jour où nous l'avions invité à notre siège mitoyen de son quartier natal, l'ex-boulevard de Verdun, actuellement Abderazak Hahad, où se trouve la clinique de renom dénommée à l'époque la Croix- Rouge administrée par les sœurs blanches et actuellement Ali Aït Idir à La Casbah. Evocation d'un lieu d'humanisme et d'engagement Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, cet établissement de santé publique, bien que situé dans une zone sous haute sécurité en face du siège du Commandement général de la gendarmerie française, a accueilli au nez et à la barbe de la soldatesque coloniale un officier de l'ALN de la Wilaya IV qui, gravement blessé dans les maquis de l'Atlas blidéen, a été soigné dans l'urgence d'un stratagème de circonstance pour être sauvé d'une amputation ou d'une mort certaine. Celui-ci n'est autre que le célèbre commandant Azzedine qui, sérieusement atteint par des éclats d'obus lors d'un accrochage avec les parachutistes, a ainsi été opéré par le docteur René Stoppa, un chirurgien français de renom, sympathisant de la cause algérienne, en présence du professeur Pierre Chaulet, une figure emblématique d'un militantisme fondateur de la guerre de libération. C'est en ce lieu évocateur du Palais El Menzeh à La Casbah, que Habib Rédha fut ravi par l'agréable surprise que nous lui avions réservée : une rencontre conviviale d'amis et surtout de jeunes qui l'ont affectueusement entouré dans une réjouissante et chaleureuse cérémonie de retrouvailles avec un illustre aîné qui fut l'incarnation d'une héroïque épopée de la résistance. Ce jour-là, notre ami, Hamid Tahri, journaliste à El Watan, une plume de référence de la presse algérienne et portraitiste génial, était de la partie pour immortaliser, avec le talent qui est le sien, un témoignage captivant et révélateur d'un pan d'histoire du mouvement national de résistance à travers le théâtre et la guérilla urbaine à Alger. Sollicité avec avidité et enthousiasme par l'assistance présente, Habib Rédha, témoin et acteur de premier plan de cette période cruciale de l'histoire de l'Algérie, nous dispensera ce jour-là une véritable leçon d'humilité en des termes poignants de modestie. «Je vous remercie pour cette fraternelle et émouvante rencontre sur les lieux mêmes de mon enfance et de ma jeunesse.» «C'est par affection et devoir de répondre à votre souhait que je vais vous conter une tranche de mon vécu, et ce, à mon corps défendant, car j'abhorre parler de moi.» Et d'ajouter : «Je n'ai accompli que mon devoir et je suis aujourd'hui devant vous avec mes 92 ans, alors que des centaines de milliers de chouhada ne sont plus de ce monde, tombés au champ d'honneur à la fleur de l'âge, parmi eux mon frère Madjid, un ami de toujours que j'aimais tant.» Le récit inoubliable de Habib Rédha, ponctué par des questionnements de Hamid Tahri de l'assistance et essentiellement des jeunes, a suscité un engouement exceptionnel.Cette œuvre de mémoire, qui est aussi une page d'histoire, est ainsi pérennisée sur les colonnes d'El Watan du 7 Avril 2011. Des frères et des sœurs de combat d'origine européenne A la pensée de ses compagnons de lutte, il a tenu avec un soupir d'émotion à rappeler ce qui, selon son expression, «ne doit point s'oublier» et de préciser : «Des femmes et des hommes d'origine européenne ont consenti le sacrifice suprême par l'action courageuse et ont participé au triomphe d'une cause universellement juste, celle d'une Algérie libre et indépendante, à l'image du docteur Daniel Timsit, du professeur Pierre Chaulet, Fernand Yveton, Henri Maillot, Raymonde Peshard, Annie Steiner et tant d'autres, trop nombreux pour être tous cités ici, mais dont les noms seront à jamais éternisés par l'Algérie reconnaissante au souvenir des meilleurs de ses enfants.» «Ils étaient les frères et sœurs de combat de Larbi Ben M'hidi, Ali La Pointe, Petit Omar, Hassiba Ben Bouali, Taleb Abderrahmane, Louni Arezki, Yacrf Saadi, Djamila Bou Hired, Djamila Boupacha, Zohra Drif, Brahim Chergui et tant d'autres valeureux héros qui ont répondu à l'appel de la patrie en détresse.» Une éclatante et ultime pensée d'affection et de gratitude de Habib Rédha à l'endroit de celles et ceux qui ont accompli une œuvre sublime d'engagement et de solidarité humaine à perpétuer par la fidélité du souvenir en direction des générations montantes et de la postérité. Un acte de courage et de solidarité agissante «A ce propos, je ne pourrais encore oublier celle d'une anonyme pied-noir de Bab El Oued, fief des ultras, qui m'a hébergé pendant 15 jours alors que j'étais pourchassé et activement recherché par toutes les polices et l'armée qui étaient à mes trousses.» «Un acte de courage rarissime pour une dame de conviction qui a bravé la peur des risques périlleux encourus et de surcroît aggravés en la circonstance par le lien familial d'un propre frère, voisin d'immeuble, raciste et membre influent du Front de l'Algérie française dans le quartier.» Habib Rédha nous a hélas quittés en une journée printanière, le 29 mai dernier, avec une image indélébile de ses valeurs humaines, de courage, de rectitude et d'humilité, dans la grandeur de l'exemple qu'il fut à travers un parcours fécond immensément riche et entièrement consacré à la culture et à la lutte de résistance pour une Algérie souveraine, libre et indépendante, fièrement hissée dans le concert des nations. Au recueillement sur sa dépouille au Palais de la culture et au cimetière d'El Kettar où il a été inhumé, la tristesse expressive de l'imposante foule qui, dans l'affliction l'a accompagné à sa dernière demeure, a incarné la dimension de l'homme au sein d'une société venue dans l'émotion dire adieu à un repère qui, sereinement, s'en va avec la quiétude dans l'âme d'une mission noblement accomplie ici-bas.