à tort ou à raison, les nouvelles chaînes de télévision privées, algériennes mais de droit étranger, sont, depuis leur création, accusées de tous les maux : «blanchiment d'argent, transfert illégal de devises à l'étranger, transactions commerciales ‘‘informelles''…» Certes, les Algériens ont bien le droit «d'investir à l'étranger à condition de disposer d'une autorisation délivrée par la Banque d'Algérie», nous dit un banquier, ce qui ne semble pas être leur cas. Comment ont-elles payé leur droit de diffuser de l'étranger ? Certaines sources financières laissent entendre qu'elles ont été créées avec de «l'argent qui était déjà dehors dans des comptes à l'étranger». Soit à travers «des Algériens non résidents, soit à travers des Algériens résidents, auquel cas, ce serait de l'argent non déclaré». Rien n'est moins sûr et ce ne sont pas les patrons de ces chaînes qui lèveront le flou autour de cette question. Dans un paysage audiovisuel national désert, ces chaînes ont, à leur décharge, le souci d'offrir une alternative à «l'Unique» et ses différentes déclinaisons, quitte à ne pas faire les choses dans les règles de l'art. Mais elles ont beau être nouvelles et dans une situation controversée, elles sont en un peu plus d'une année parvenues à capter une partie de la manne publicitaire privée, autrefois l'apanage de la télévision publique ENTV. La télévision attirait près de 50% des investissements publicitaires en 2012, selon certaines études, avec un chiffre d'affaires supérieur à 70 millions de dollars, en baisse par rapport à l'année 2011. Autorisées (pour certaines d'entre elles) à activer d'une manière provisoire, la situation encore ambiguë dans laquelle elles se trouvent ne gène pas outre mesure les annonceurs dont les spots publicitaires inondent les écrans pendant ce Ramadhan. L'engouement n'est pas fortuit puisque certaines études d'audience ont démontré que les nouvelles chaînes ont canalisé une partie des téléspectateurs, jadis fidèles à l'ENTV. Ainsi, après l'arrivée de ces chaînes, le taux d'audience des trois principales chaînes de la télévision publique (ENTV, A3 et Canal Algérie) a été divisé par 2 durant le mois du jeûne. En prime time, le taux d'audience cumulé des chaînes Ennahar, Echourouk et El Djazaïria dépasse même les 40%. Une «aubaine» pour les annonceurs, selon Rachid Hassas, manager de la société de communication RH International. La venue des chaînes privées «stimule le marché publicitaire, du coup il y a une surcharge sur la plage horaire entourant le f'tour». Le Ramadhan représente pour les annonceurs la période «propice pour une campagne publicitaire TV». Leur but avant tout est de rechercher «la visibilité». Mais si ces chaînes «sont des sociétés étrangères», remarque un expert en économie, certaines d'entre elles n'activeraient pas pourtant dans l'illégalité. «Elles ont un bureau de représentation, ce qui leur donne une identité commerciale, elles ne sont donc pas informelles». En effet, au début du mois de mai dernier, le ministère de la Communication a autorisé trois chaînes, Ennahar, Echourouk et El Djazaïria «à ouvrir provisoirement des représentations à Alger». Une autorisation administrative, valable jusqu'au 31 décembre 2013. La loi sur l'audiovisuel n'étant pas encore promulguée, il n'est pas dit que cette situation provisoire ne va pas se prolonger et avec elle l'ambiguïté dans laquelle se trouvent ces chaînes. Car le fait qu'elles disposent d'un bureau de représentation seulement limite leur marge de manœuvre dans la mesure où «elles n'ont pas le droit de facturer des prestations commerciales». Puisqu'elles sont situées à l'étranger «elles ne peuvent donc facturer que de l'étranger, c'est-à-dire en devises ou alors elles peuvent le faire gratuitement pour prendre ‘‘place''. Cela serait un investissement de leur part», estime-t-il. Du côté des annonceurs, on avance quelques explications. «En voyant ces chaînes qui émettent de l'extérieur et ont de la pub de sociétés nationales, je me suis dit qu'il devait y avoir un problème de transfert de devises», explique Mohamed Abderrazak Naïli, directeur général du groupe alimentaire La Belle. Il précise toutefois que les payements sont bel et bien effectués «en dinars». «Les chaînes qui sont nées de journaux comme Ennahar et– Echourouk facturent au nom de ces journaux, les autres facturent au nom des agences médias dont elles disposent et qui sont à l'origine de leur création», nous dit par ailleurs la responsable d'une agence de communication. Dans d'autres cas, les espaces publicitaires sont «offerts à titres gracieux», nous dit-on, mais en tout état de cause, ce ne sont pas les annonceurs qui traitent directement avec ces chaînes et ils ignorent la plupart du temps comment les transactions sont effectuées. «Nous passons par une agence média qui traite avec ces chaînes», nous dit le représentant d'une entreprise privée de l'agroalimentaire. «Ce qui intéresse l'annonceur, c'est d'abord que son produit atteigne le consommateur et il y a eu des études d'audience qui ont montré que ces chaînes ont une présence au niveau du public». Selon l'une de ces études réalisée par l'agence Media Survey durant la deuxième semaine du mois de Ramadhan 2012, Echourouk, El Djazairia et Ennahar ont capté respectivement 11,2%, 3.1% et 2,8% contre 18,5% pour A3 et 7,5% pour l'ENTV. «C'est un tableau sur lequel travailleraient les annonceurs pour placer leur pub», commente M. Hassas. Les boîtes de Com qui sous-traitent avec les annonceurs ont donc «toute la latitude pour traiter avec ces chaînes. Ce sont des professionnels, ils savent ce qu'ils font et nous ne leur disons pas où placer la publicité», nous dit M. Naïli. Le plus important est qu'il «y ait le plus gros impact», dit-il. Ces chaînes offrent néanmoins l'avantage de la tarification. Ce sont des «tarifs très abordables par rapport à l'ENTV», note le représentant d'une entreprise privée. «Dans certains cas comme El Djazaïria il s'agit de tarifs ‘‘bas'', alors qu'Echourouk par exemple, s'aligne sur l'ENTV avec un pack de 30 jours qui commence à 40 millions de dinars», nous dit la responsable d'une boîte de communication. M. Hassas suppose, quant à lui, que l'engouement des annonceurs est notamment dû «aux tarifs promotionnels proposés par la majorité des chaînes». Même si elles existent depuis peu, les chaînes privées sont arrivées à occuper un espace, celui réservé autrefois à l'ENTV, mais si elles ont grâce aux yeux des annonceurs privés, elles restent boudées par les annonceurs publics, exclusivité de l'ANEP qui contrôle plus de 65% du marché publicitaire national.