L'Algérie affiche une nouvelle ambition industrielle. Une ambition qui fait la part belle au partenariat garant de «l'apport en investissements, en savoir-faire et en compétitivité». Un discours sans rappeler toutes les promesses ayant devancé les grandes privatisations. Pourtant, à la veille de ce qui va permettre de jeter ce qui reste d'entreprises publiques dans des partenariats avec des groupes privés étrangers à grands renforts de capitaux publics, aucun bilan exact des joint-ventures, partenariats et privatisations en tous genres opérés par le passé n'a été fait. Au-delà des quelques réussites que l'on veut agiter au regard d'une opinion publique sceptique, les privatisations sont loin de satisfaire. Et pour cause ! Les privatisations, initiées dans une conjoncture particulière marquée par les plans d'ajustement structurels, et par la faillite de nombreuse entreprises publiques, devaient, au-delà des assainissements successifs, impulser une nouvelle dynamique à ces entreprises, renforcer leur compétitivité et relancer la machine de production afin de se substituer aux importations et pour faire de l'Algérie un pays qui exporte autre chose que des hydrocarbures, explique un cadre du secteur. Cependant, poursuit-il, force est de constater que beaucoup d'entreprises ont été cassées, et qu'aujourd'hui nous importons plus que jamais. Sommet du bradage Un constat qui, à lui seul, remet en cause toutes les privatisations opérées depuis 1997, et plus particulièrement depuis 2000. Ce haut cadre avoue que si les privatisations ont constitué un phénomène nouveau pour l'Algérie, elles auront surtout permis une dilapidation organisée des deniers publics. Ainsi, au lieu de valoriser les entreprises, notamment les PME sur lesquelles les économies européennes s'appuient pour garantir leur croissance économique, précise-t-il, les privatisations ont permis à de véritables prédateurs d'accaparer des actifs d'entreprises tout à fait viables et solides. Car, explique-t-il, aucun repreneur, notamment étranger, «ne s'aventurerait à prendre une mauvaise entreprise, il ne s'intéressera qu'aux bonnes entreprises». Des prédateurs qui auront tout le loisir de faire main basse sur les stocks et actifs résiduels des EPE cédées et s'adonner à la spéculation foncière. Notre interlocuteur insiste aussi sur un aspect souvent omis par les préposés aux privatisations. Il explique ainsi que si l'on a toujours fait en sorte lors des privatisations de mettre en avant la sauvegarde des emplois, et la prise en charge des dettes, on oublie toujours d'évoquer les créances détenues par l'entreprise à céder, et qui seront récupérées par le repreneur. Un constat qui amène forcément à parler de bradage des entreprises publiques. Un ancien parlementaire, très au fait du dossier, estime d'ailleurs qu'à partir de 1997 et encore plus durant les années 2000, l'Algérie avait atteint le sommet du bradage, dans la mesure où aucun secteur n'a été épargné par les privatisations. Le secteur du textile et des cuirs, les Enajuc, les minoteries, l'agroalimentaire en général, les briqueteries, la menuiserie, aucune entreprise et aucune industrie manufacturière n'auront échappé à la liquidation. Plus grave, les entreprises publiques locales, qui faisaient office de véritable tissu de PME, ont été malmenées par des autorités locales et des walis, aux exigences supérieures aux capacités et aux trésoreries des EPL lesquelles n'étaient pas toujours rétribuées à échéance. «Il ne restait donc plus qu'aux petites mafias locales de récupérer ce qu'il y avait à prendre», explique-t-il. Le parlementaire critique d'ailleurs des privatisations qui n'ont pas été menées selon un processus juridique clair et qui assure la transparence de toutes les cessions opérées. Réda Amrani, consultant en économie industrielle, remet d'ailleurs en cause tout le processus de privatisation, dans la mesure où celle-ci ne reposait sur aucune condition et ni critère concret ou sensé, et que la majorité des cessions ont été opérées sur la base de «bêtises», dit-il. Celui-ci rappelle ainsi que les cahiers des charges imposés aux repreneurs s'appuyaient sur trois conditionnalités, surréalistes. Selon lui : il s'agit en premier lieu du maintien des effectifs, le maintien de l'activité, et la présentation d'un «business plan de reprise réaliste évalué sur la base de la création de nouveaux emplois et une politique de formation». Des mots creux, selon l'économiste. Exit donc les critères basés sur des plans d'investissement précis, les objectifs de production et de chiffre d'affaires, l'obligation d'exporter et surtout le bilan devises qui est, selon M. Amrani, négatif pour la majorité, si ce n'est pour toutes les entreprises privatisées. Concentration de pouvoirs Une démarche que le consultant en économie industrielle met sur le compte de l'absence de vision des décideurs, laquelle aura mené à des choix de repreneurs et des privatisations scandaleuses. Les exemples sont légion. M. Amrani cite à ce titre la privatisation de l'hôtel Ryadh, ou encore la cession de plusieurs unités au profit du libanais Doumet, non pas pour le savoir-faire que celui-ci pourrait apporter, mais pour des liens que celui-ci entretenait avec le ministre Temmar. L'économiste met aussi en cause la cession d'Alver au français Saint Gobain. Il estime ainsi que les verreries d'Oran étaient, avant la dévaluation du dinar en 1994, les mieux gérées du pays. Celles-ci maîtrisaient, selon lui, la technologie et avaient un bilan devises positif. Alver avait même été autorisée à lancer de nouveaux projets à Constantine, Tébessa et Chlef. Or, la dévaluation du dinar a porté un coup aux équilibres financiers de l'entreprise. Aussi, et au lieu de la réhabiliter, poursuit M. Amrani, il a été décidé de la céder totalement. Il cite aussi, entre autres exemples, le cas de la CNAN, du complexe d'El Hadjar ou encore les unités ammoniac relevant d'Asmidal, qu'il trouve scandaleux d'avoir cédé, car pour ces unités-là, on aura permis une exportation nette par des étrangers de nos ressources naturelles, et permis de les faire bénéficier de notre rente. Plus grave encore, les privatisations, qui sont considérées comme étant des investissements, auront permis aux repreneurs de bénéficier de crédits d'impôts. Aussi, et dans la mesure où il était permis aux repreneurs de libérer leur capital en 5 ans, ces derniers ont financé leurs acquisitions sur ce qu'ils ont récupéré sur le marché algérien. De ce fait, ni le fisc ni le Trésor n'ont récupéré quoi que ce soit. Marquer une pause Autant d'éléments qui poussent M. Amrani à dire que les privatisations n'ont obéi ni à une stratégie ni à une vision du développement, mais c'était un dogme, un outil de dilapidation, qui aura permis sous chaque ministre de se remplir les poches. Il reproche ainsi aux pouvoirs publics qu'au lieu de choisir une autonomie de gestion aux entreprises, ils ont opté «pour des gestionnaires cooptés». Un avis partagé par l'ancien président du Conseil national aux privatisations, Abderrahmane Mebtoul, qui critique la concentration des pouvoirs en matière de privatisation entre les mains d'un seul ministre, qu'il considère comme favorisant les délits d'initiés. Il estime aussi qu'à l'avenir, il convient de mieux défi nir ce que l'on entend par partenariat loin de tout slogan idéologique, avec l'autonomisation de la décision économique. L'avenir, il en est justement question aujourd'hui, d'autant plus que les opérations de partenariat se multiplient. Certains cadres du secteur dénoncent d'ailleurs la manière avec laquelle on permet à des partenaires étrangers de bénéficier de projets dans des secteurs que les Algériens maîtrisent parfaitement. Le cas du complexe sidérurgique qatari à Bellara en est l'exemple le plus édifiant. Ils dénoncent aussi la manière avec laquelle des complexes industriels fortement intégrés sont arrêtés et remplacés par des projets en partenariat aux taux d'intégration limités. Des arrêts d'usines qui engendrent plusieurs tonnes de ferraille lesquelles alimenteront les laminoirs que les «partenaires» étrangers sont en passe de créer ! D'autres acteurs du secteur estiment aussi qu'il appartient à chacun des cadres du secteur public de faire barrage aux dérives. Ils en veulent pour preuve les quelques privatisations qui ont réussi grâce à l'intervention de cadres intègres. En tout état de cause, il est temps, selon nos interlocuteurs, de marquer un temps de pause maintenant et de faire le bilan des privatisations. En 2010, le ministre des Finances, Karim Djoudi, annonçait que ses services comptaient procéder au contrôle des entreprises privatisées et de reprendre celles pour lesquelles les cahiers des charges n'auront pas été respectés. Mais loin de toute chasse aux sorcières ponctuelle, nos interlocuteurs s'accordent à dire qu'il temps de faire un bilan objectif de ce qui a été réaliser en matière de privatisation et de faire une évaluation économiquement pragmatique de ce qui doit être fait et des projets d'avenir, si l'on veut avancer et créer une industrie algérienne.