Tous les indices convergent vers des concessions imminentes et douloureuses de la part des islamistes d'Ennahdha, isolés sur l'échiquier politique, après le brouillage avec «leur bras armé salafiste», suite à la guerre contre les djihadistes à Chaâmbi, et sous la pression imminente de la campagne «Dégage» contre les responsables nommés par complaisance. Sur quoi peuvent compter les islamistes tunisiens pour espérer s'en sortir avec le moins de dégâts ? Les tractations entre les belligérants politiques ne cessent pas depuis trois semaines autour de l'initiative de la puissante centrale syndicale, UGTT, qui est désormais le porte-parole de l'opposition politique et la société civile. Laquelle initiative revient sur toutes les lèvres avec comme menu la dissolution du gouvernement de Ali Laârayedh, la nomination d'un gouvernement de technocrates et la limitation de l'action de l'Assemblée nationale constituante (ANC) à une feuille de route concertée et préétablie, faute de sa dissolution qui risquerait de minimiser les chances de la transition démocratique. Cette initiative trouve sa force dans le ralliement des deux centrales patronales, Utica et Connect, à ses slogans, notamment la dissolution du gouvernement Laârayedh, «incompétent», et la nomination de technocrates «plus aptes à faire sortir le pays de la crise». Même le Front de salut national, composé de groupuscules d'extrême gauche et d'associations de la société civile, aux slogans plus radicaux, considère l'initiative de l'UGTT comme une plateforme minimale pour entamer les débats avec le pouvoir exécutif. Le parti islamiste d'Ennahdha se trouve du coup isolé dans un coin de l'échiquier politique avec des marges de manœuvre très réduites. Pourquoi ? La réserve salafiste Pour expliquer l'isolement d'Ennahdha, le politologue Hamadi Redissi trouve qu'«avec le déclenchement de la guerre contre les djihadistes, les islamistes ont perdu le repère justifiant leur prétention d'être au centre. En effet, Ennahdha s'est prévalu, depuis sa montée au pouvoir, d'être au centre entre les salafistes extrémistes à droite et les laïcs extrémistes de gauche. Avec le dernier guet-apens contre les soldats à Chaâmbi et le catalogage qui s'en est suivi des djihadistes comme des ennemis de la patrie, tout l'échafaudage politique d'Ennahdha s'est écroulé, car ce sont désormais les islamistes qui sont accusés d'être à l'origine de la montée de ce djihadisme par leur politique laxiste à l'endroit de ces terroristes». En plus, explique Redissi, «Ennahdha a toujours été derrière la descente des salafistes dans les rues, afin de faire prévaloir leurs thèses extrémistes et contrer celles des démocrates. Nous l'avons vu en mars 2012 pour défendre l'application de la charia, en juin 2012, contre le printemps des arts, etc.». «Ennahdha a désormais perdu son bras armé avec le conflit de Chaâmbi. C'est pourquoi, les islamistes n'ont désormais plus de griffes», conclut le politologue. Le bord démocrate a désormais saisi au vol le message. Béji Caïd Essebsi, en vieux routier de la politique, est parvenu en moins d'une année à rassembler toute l'opposition au sein d'un même front et à le doter d'un objectif unifié : celui de mettre en place un gouvernement technocrate de salut national pour superviser les prochaines échéances électorales. Jusque-là, cette tactique réussit à souhait à l'opposition. Son mot d'ordre «Dégage» risque de faire mal au gouvernement et le pousser à des concessions imminentes pour éviter le pire.