Celui qui va à Tiaret doit impérativement visiter sa jumenterie. Celle-ci est devenue, au fil des ans, un passage obligé pour tout visiteur qui passe par la capitale des Abassides. Tiaret de notre envoyé spécial
Celui qui se rend à Tiaret ne manquera pas d'être enthousiasmé de visiter sa célèbre jumenterie. Celle-ci est devenue, au fil des ans, un passage obligé pour tout visiteur qui passe par la capitale des Abassides. D'une superficie de 800 hectares, cette jumenterie, appelée «Chawchawa» est dotée d'un cheptel de 260 têtes. Annuellement, elle produit entre 55 à 65 poulains et pouliches. Elle élève deux races principales : le pur-sang arabe et le barbe…et périodiquement l'arabe-barbe, une sorte de croisement des deux races. A cela, chaque année, cette institution du cheval organise une vente aux enchères nationales au bénéfice des propriétaires de chevaux de course. Le prix du cheval varie de 400 000 à 1,4 million de dinars. Il faut savoir que l'entretien d'un cheval est assez coûteux. «Rien qu'en nourriture, un cheval nous coûte pas moins de 10 000 DA par mois, et on totalise un cheptel de 260 têtes…alors, faites le compte !», nous dira Saïd, le directeur de la jumenterie. Toutefois, nous précisera-t-il, bon an mal an, cette dernière réussit à s'en sortir, et ne pas sombrer dans la faillite, bien qu'elle ne bénéficie d'aucune subvention étatique. Aujourd'hui, le principal danger qui la guette, c'est bien sûr l'extension du plan d'urbanisation qui se fait au détriment de sa superficie originelle. On apprendra ainsi que sur les 800 ha dont elle dispose, 200 ont déjà été utilisés pour les besoins de l'urbanisation. C'est en 1877 qu'elle a été aménagée sur décision de l'armée française : en voyant l'agilité des chevaux algériens, l'occupant français n'avait pas tardé à s'en emparer. Il a décidé ainsi de monter sa propre cavalerie de chevaux d'élite. Pour cela, il lui fallait, préalablement, lancer un élevage, et ce, de façon organisée et scientifique. D'où l'idée de créer la jumenterie de Tiaret qui devait servir, à cette époque, à produire des étalons et ensuite des croisements entre le cheval arabe (introduit en Algérie par les musulmans lors des ‘foutouhat el islamya') et le cheval local, le barbe. La résultante a donné le cheval arabe-barbe, un cheval «d'élite». L'endroit le plus approprié sur le plan climatique pour la production de cette nouvelle race était Tiaret, ville jouissant, par ailleurs, d'une forte concentration d'éleveurs. Aussi, pour faire foisonner le cheval barbe-arabe, l'occupant français a importé de Syrie des chevaux arabes et a acheté, localement, des chevaux barbes. Créée le 23 novembre 1877 par un arrêté du ministère de la Guerre, la jumenterie est restée sous tutelle de l'armée jusqu'en 1946. Après, avec l'ère de la mécanisation, la vie du cheval a été bouleversée : en matière de guerre, le char d'assaut l'a remplacé. En agriculture, c'est le tracteur qui lui a volé la vedette. Et même le commun des mortels l'a délaissé au profit de l'automobile. Le cheval a alors perdu l'essentiel de ses utilisations. C'est ainsi qu'à partir de 1946, la jumenterie de Tiaret a été transférée au service de l'agriculture. L'armée française s'en est détachée. A l'indépendance, elle a été transférée à la direction de la production animale par le ministère de l'Agriculture. Le déclin a commencé pour elle, mais pas en raison d'une mauvaise gestion mais plutôt à cause d'un contexte mondial dans lequel le cheval avait tendance à disparaître. En Europe, ce qui l'a quelque peu sauvé, c'était précisément l'équitation (notamment les courses et la création des P.M.U.) Il en a été de même en Algérie : les courses hippiques étaient assez développées dans le pays, toutefois, cela n'était pas suffisant pour sa sauvegarde : il fallait qu'il y ait une implication de l'Etat assez concrète pour sauver ce patrimoine. Aussi, en 1986, pour la première fois, une réunion du gouvernement s'était consacrée au secteur du cheval. Il en est sorti de cette réunion la réorganisation du secteur, avec la création de structures chargées de son financement et de son développement (la création, notamment, de la société des courses hippiques, Paris Mutuels pour financer le secteur, ainsi que la création de l'Office national du développement des élevages équins et la fédération équestre algérienne.). L'argent recueilli devait servir au développement et à l'encouragement de son utilisation. Quant à l'Office national, il était chargé du développement, de l'introduction des techniques, de l'encouragement aux éleveurs et de la promotion du cheval. La Fédération, elle, avait pour charge la promotion du cheval par le biais du sport, l'équitation principalement. Sur le plan théorique, ces mesures était très bonnes, mais sur le plan pratique, elles ont fait choux blanc. La raison était toute simple : il n'y avait pas de contrôle sur l'argent, nous explique-t-on. «La société des courses était censée redistribuer une grande partie de l'argent à ses structures-là, l'équitation et l'élevage, mais en ce sens, rien n'a été fait. Comme c'est elle qui gérait l'argent, elle le gérait pour elle-même. Conséquence : le projet du gouvernement a été dénaturé. Il n'y a pas eu un encadrement juridique pour éviter les dérives», nous expliquera le directeur de la jumenterie. Etant tour à tour sous tutelle du ministère de l'Agriculture et de l'Institut du développement de l'élevage équin, la jumenterie est devenue, en 1986, une «ferme-pilote» avec un statut particulier, et où la gestion est autonome, c'est-à-dire sans subventions de l'Etat. «Être automne a été une chance, car cela nous a obligés à nous prendre en charge», nous dira-t-il plus loin. La jumenterie de Tiaret est ainsi la seule entreprise dans la wilaya qui «exporte», et dont le produit est «valorisé» dans le monde. C'est qui explique que ses gestionnaires sont régulièrement invités dans les différentes manifestations équines à travers le monde (salon du cheval de Paris, de Vérone…). Des chevaux provenant de la jumenterie ont même été exportés au Brésil, et l'un d'eux est devenu champion dans toute l'Amérique du Sud en endurance. Cependant, malgré le succès que connaissent bon nombre de ses chevaux, le directeur de la jumenterie reste assez perplexe quant à l'avenir de la jumenterie, et même, plus globalement, du secteur du cheval : «le problème est que le cheval n'est pas une activité prioritaire chez le gouvernement. C'est pourquoi une partie de nos terres est réservée à la production des céréales pour l'alimentation humaine. C'est qui nous permet de créer des ressources pour pouvoir faire fonctionner le tout».