Défenseur de l'environnement et acteur sur le terrain, Karim Tedjani, fondateur du portail Nouara consacré à l'écologie, alerte dans cet entretien sur la dégradation des forêts. Un phénomène qui n'arrête pas de s'étendre. Mais il garde espoir, si toutefois une réelle politique de plantation d'arbres est planifiée. - Quelles sont, selon vous, les problématiques environnementales à débattre et à soulever en urgence dans notre pays?
L'Algérie est un vaste écosystème constitué par une multitude de biotopes et de micros climats interdépendants. Il est difficile de dire que tel où tel volet est plus important qu'un autre. Leur symbiose est garante de la bonne santé environnementale de notre territoire. Mais maintenant, il est possible d'identifier certaines priorités écologiques, au regard de leur corrélation avec un grand nombre de problématiques qui sévissent à travers tout le territoire. Ne dit-on pas que pour guérir, il faut aller à la source du mal? Je pense que le thème majeur actuellement, demeure irréfutablement la dégradation de notre patrimoine forestier et de notre couvert végétal, car elle accélère le réchauffement climatique et l'écocide qui sévissent en Algérie de manière très préoccupante. Donc, réhabiliter nos forêts, et les revaloriser, demeure la première urgence. Soulignons l'influence des forêts sur les précipitations, leurs rôles de rempart contre l'avancée du sable sur nos terres, du vent, mais aussi du sel marin. Le fait que les arbres sont les habitats exclusifs d'un grand nombre d'animaux, d'insectes, leur relation symbiotique avec d'autres espèces végétales, tout cela fait de la santé de nos forêts un facteur incontournable du maintien de l'équilibre écologique de notre pays, qui est toujours en stress hydrique. Le taux d'endémisme de plus de 12 % risque de devenir juste une légende. La gestion de l'eau, la lutte contre l'avancée, le réchauffement et son pire corollaire et l'avancée du désert sont indéniablement des problèmes urgents à régler. Nos arbres sont dans tous ces combats, nos meilleurs alliés. Il ne suffit pas seulement de planter des arbres. Il faut apprendre aux générations présentes et futures comment en planter de nouveaux et, surtout les entretenir. Il me semble d'ailleurs que la principale faille dans ce domaine réside dans le fait qu'il n'y a pas de véritable suivi dans la plupart des entreprises de reboisements en Algérie. On peut parler aussi des techniques archaïques de construction encore en activité chez nous et qui utilisent toujours des coffrages et des piliers de maintien en bois. Notre pays est un grand producteur de gaz, pourtant, dans plusieurs zones rurales, les gens se chauffent encore au bois. De plus, la richesse de nos forêts n'est pas suffisamment capitalisée.
- Reboiser l'Algérie, cela ne demande-t-il pas d'énormes moyens financiers ?
Quoi qu'il arrive, il faudrait beaucoup de moyens pour atténuer les effets du réchauffement climatique et l'avancée du désert qui prennent des proportions alarmantes dans notre pays. Planter des arbres requiert, certes, des moyens financiers conséquents, mais quasiment aucune technologie «exotique». Nous avons encore de très bons experts forestiers en Algérie. On peut citer encore pour exemple la pépinière de chêne vert de Guerbes qui est une des plus performantes et importante d'Afrique. Dans cette entreprise de revalorisation de notre couvert végétal, le rôle et la condition socioprofessionnelle du garde forestier doivent être revisités. Ils se sont beaucoup précarisés depuis les années 1990. Selon les nombreux témoignages que j'ai pu récolter parmi des gens de cette noble profession, beaucoup de forestiers algériens considèrent qu'ils ont été complètement dépourvus de leur mission principale et surtout coupés du terrain. Leur défection de nos forêts, comme à Akfadou ou bien encore à Takkoutch pour ne citer que ces sites parmi des centaines concernés, a favorisé la persistance de nombreux petits trafics dont certains acteurs provoquent des incendies ou bien encore des déforestations massives et irresponsables. Dans la lutte contre ces mêmes incendies, l'aspect préventif est le facteur le plus important et sensible. Or, ce sont la plupart du temps des entreprises privées, peu consciencieuses, qui s'en chargent actuellement. Les forestiers ne sont plus capables d'assumer leur rôle par manque de moyens et d'effectifs. Ils ne sont plus aptes à se défendre contre les délinquants des forêts qui eux, parfois, sont armés! Le salaire des agents n'est pas en adéquation avec l'importance de leur fonction.
- Quelles sont les solutions que vous préconisez pour intensifier la présence des forestiers sur le terrain ?
Je n'ai pas la prétention de me substituer aux décisions des dirigeants politiques. Aussi, je me contenterais juste de me faire l'écho des doléances que j'ai pu récolter parmi les nombreux forestiers que j'ai pu rencontrer lors de mes « expéditions écologiques » : Augmenter les salaires et les effectifs des forestiers; investir dans des équipements et assurer des formations de pointes pour attirer de jeunes talents vers cette carrière; revaloriser nos forêts par une exploitation forestière intégrée qui pourrait également générer des fonds pour que leur protection ne pèse pas trop sur le budget de fonctionnement. Enfin, je pense qu'une campagne de classification de nos forêts en parcs régionaux renforcera l'action de nos forestiers. D'ailleurs, dans notre pays, ce ne sont pas les lois qui manquent pour protéger nos forêts. C'est avant tout un nombre suffisant d'hommes et de femmes intègres pour les faire appliquer. Le forestier doit être considéré comme un soldat des forêts. Il doit faire autorité, au même titre que le gendarme ou le policier.