Djamel Guerid, l'un des plus grands repères de la sociologie en Algérie, a tiré sa révérence, samedi dernier, à l'âge de 70 ans, à Oran. Il a été enterré, hier, au cimetière de Aïn El Beïda, où une foule nombreuse l'a accompagné à sa dernière demeure. Plus qu'une référence, le professeur Guerid était un de ces rares sociologues qui se targuait de connaître la société algérienne à partir de la pratique du terrain, ne se contentant pas seulement de la «pratique livresque». Sa mort est pour nous une déchirure. «C'est une grande perte et pour l'Algérie et pour la sociologie algérienne», ont dit beaucoup de ses amis, rencontrés à la maison mortuaire, samedi dernier au soir. Avec pour devise, «sans enquête, pas le droit à la parole», c'est ce qui distinguait le travail de feu Guerid, car il tirait ses analyses à partir du terrain. Se refusant de prendre pour modèle le monde occidental, et conscient, par ailleurs, que les analyses de quelques-uns de ses confrères étaient parfois (pour ne pas dire souvent) entachés de préjugés, il prenait un malin plaisir, aux dires de ses étudiants, à démonter «les schémas prêt-à-porter», pour mettre en exergue la réalité des choses. «Il s'est toujours évertué à décortiquer la société algérienne telle qu'elle est, et non telle qu'on voudrait qu'elle soit» nous dira un de ses amis, avant d'ajouter : «Il a toujours voulu savoir ce qui se passe par le bas, et non par le haut, d'où l'importance chez lui de la pratique du terrain ! » Conséquent avec lui-même, le professeur Guerid était connu pour être un homme intègre, érudit, strict sur les principes, et ne se laissant corrompre par quelque façon que ce soit. «Il était tellement irréprochable, qu'il gênait», nous confierons ses amis intimes. Son amour pour son pays était tel, que pendant la décennie noire, bien que menacé, il a fait cette déclaration : «Nous avons choisi de rester, ici, en Algérie !». Disciple du célèbre sociologue français, Pierre Bourdieu, feu Guerrid a été titulaire d'un doctorat d'Etat ès lettres et sciences humaines (université Paris VII). Pendant plus de 40 années, il a été au service de l'université algérienne, d'abord à Alger, ensuite à Oran. Professeur de sociologie et d'anthropologie à l'université d'Oran, sa force était de pouvoir écrire et enseigner, à la fois en français et en arabe. Il a mené et dirigé de nombreux projets de recherche dans les domaines de l'anthropologie de la vie quotidienne et des institutions de socialisation (école, entreprise, hôpital…). En 2005, il s'était orienté vers l'anthropologie du savoir, et ainsi, sous le thème de «Savoir et société», c'est tout un magister qu'il a ouvert à la faculté des sciences sociales d'Oran. En outre, il a aussi fondé un projet de recherche au Centre national de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread-Alger). Son ouvrage-référence est assurément, L'Exception algérienne, la modernisation à l'épreuve de la société (Ed. Casbah 2007, Alger), livre où il décortique pleinement la société algérienne, avec cette dualité qui l'a de tout temps caractérisé, que ce soit avant ou après l'indépendance. Précédemment, en 1999, il publie Algérie, l'une et l'autre société, dans l'ouvrage collectif, L'Algérie, des principes de novembre à l'ajustement structurel, sous la direction de Djeflat A. (Dakar, Codesria). Quant à sa dernière manifestation, elle remonte au mois de mai 2012, où il a organisé un colloque international, avec pour thématique «Repenser la société algérienne». Pour conclure, on peut dire que tout le travail de feu professeur Guerrid, pendant ces 40 années, reposait sur un seul projet : connaître l' Algérien.