L'enquête menée par les magistrats milanais révèle chaque jour de nouvelles imbrications de l'affaire de corruption internationale qui entache sérieusement la réputation de Saipem, ENI et Sonatrach. Le Franco-Algérien Farid Bedjaoui, présenté jusqu'ici comme le principal animateur du réseau qui a puisé dans les trésoreries de deux compagnies, aurait agi en parfaite complicité avec de hauts dirigeants. Rome. De notre correspondante Les enquêteurs italiens n'ont pas fini de démêler les fils de la toile d'araignée constituée par des réseaux secrets de corrupteurs, intermédiaires et corrompus, tous unis par l'envie irréfrénée d'argent facile. C'est grâce à Tullio Orsi, ancien dirigeant de Saipem-Algérie, lâché par ses supérieurs, qui a décidé de donner un coup de pied dans la fourmilière et a tout raconté aux magistrats, que l'enquête avance. Y aurait-il un Orsi algérien à Sonatrach qui se déciderait un jour à en faire de même ? La justice italienne protège ses sources qui collaborent et leur garantit des mesures clémentes, en leur évitant la prison et en réduisant leur peine. Le patron d'ENI, Paolo Scarone, lui-même, avait bénéficié de ce procédé en 1996, lorsqu'il était à la tête d'une autre société, Techint, qui avait soudoyé les dirigeants du parti socialiste afin d'obtenir l'autorisation de construire une centrale électrique au sud de l'Italie. Les nouvelles révélations montrent comment les dirigeants de Saipem accordaient des contrats de sous-traitance pour l'extraction et le transport de gaz et de pétrole, en Algérie, à des sociétés «amies» qui leur garantissaient un retour de gain substantiel. Que ces sociétés soient réelles et aient été recommandées par l'incontournable «chouchou» de l'ancien ministre de l'Energie Chakib Khelil, Farid Bedjaoui, ou fictives, inventées par les chefs de Saipem, avec l'aide précieuse de ce dernier, ne change rien à la donne. Le fait étant que le credo des Italiens corrupteurs demeurait de «reprendre d'une main une partie de ce qui avait été donné par l'autre». Et c'est en fouillant dans les comptes bancaires secrets d'anciens dirigeants de Saipem que les magistrats ont établi ce système de rétrocommissions. Il faut rappeler que aussi bien Orsi que Varone ont reçu chacun la somme de 5 millions d'euros de Bedjaoui. Orsi a révélé aux enquêteurs que Pietro Varone, l'un des décideurs de Saipem à l'époque, lui avait confié que son supérieur lui avait demandé, lorsque le scandale Sonatrach-Saipem avait éclaté, de se rendre «à Dubai pour fermer l'OGEC» qui, officiellement, était une société syrienne que sous-traitait la Saipem en Algérie. Sidérant, comme l'affirme le journaliste de l'hebdomadaire L'Espresso, qui résume ainsi son étonnement : «Comme si l'OGEC était une caisse noire gérée également par les managers italiens.» L'OGEC était une modeste boîte syrienne qui a changé de statut de manière inattendue, lorsqu'elle a commencé à opérer en Algérie, ouvrant son capital à Bedjaoui, devenu détenteur de 48% de ses actions, et même à une ancienne dirigeante de Saipem avec 1%. L'OGEC a encaissé 623 millions d'euros de Saipem-Algérie. Une autre société syrienne, Lead, a connu la même fortune, en empochant 850 millions. La police financière italienne enquête actuellement pour arriver à identifier les véritables propriétaires de ces deux sociétés. En fait, les dirigeants de Saipem avaient institué un stratagème diabolique pour s'enrichir aux dépens de Saipem et de Sonatrach. La procédure consistait à gonfler de 3% le prix des prestations des sociétés sous-traitantes qui facturaient à Saipem, qui facturait à son tour à Sonatrach. Cet argent du «surplus» servait à payer «les personnes utiles», selon les informateurs des magistrats.