Triste journée pour la liberté de la presse en Tunisie. Le journaliste Zied El Héni, rédacteur en chef du quotidien arabophone Assahafa, a été arrêté hier et traduit devant la justice pour «diffamation et attribution d'actes illégaux à un fonctionnaire de l'Etat», procureur de la République en l'occurrence, en marge de l'affaire du jet d'œufs contre le ministre de la Culture. Zied El Héni n'a même pas été interrogé par le juge d'instruction qui a décidé de son arrestation et le transfert de l'affaire au tribunal de Sousse. Tunis. De notre correspondant
Les deux dernières semaines ont été marquées par la multiplication des affaires contre les médias en Tunisie. En effet, hier seulement, ils étaient trois hommes de média à comparaître devant la justice, dans des affaires distinctes. D'abord, le patron de la chaîne El Hiwar Ettounsi, Tahar Ben Hassine, qui est poursuivi par la justice dans plusieurs affaires, dont l'accusation de complot contre la sûreté de l'Etat pour avoir appelé sur les plateaux de sa chaîne à la désobéissance civile. L'interrogatoire prévu hier a été reporté au 30 septembre. Le patron d'El Hiwar Ettounsi devrait également passer devant le tribunal les 19 et 20 septembre pour d'autres affaires, toutes en rapport avec la diffusion de fausses nouvelles, l'incitation à la désobéissance, etc. De graves chefs d'inculpation Pour le journaliste Zouhair El Jiss, de la Radio Express Fm, il s'agit d'une plainte à la justice de la présidence de la République, suite à des propos rapportés sur la Radio par un Libanais accusant le président Marzouki de toucher 50 000 dollars de la chaîne qatarie Al Jazeera. Zouhair El Jiss a été relaxé suite au désistement de la présidence de la République. Pour Zied El Héni, il s'agit d'une affaire de diffamation, portée contre le journaliste par le procureur de la République, auprès de la Cour d'appel de Tunis, pour «diffamation et attribution d'actes illégaux à un fonctionnaire de l'Etat». Sur les plateaux de Nessma TV, El Héni a accusé ledit procureur d'avoir transformé les propos du photographe accusé de complicité lors de l'incident de jet d'œufs sur le ministre de la Culture. «Le photographe n'a pas reconnu sa présumée complicité», a insisté El Héni en appuyant sa déclaration par une copie de l'interrogatoire où il était indiqué que l'accusé a refusé de signer. Le journaliste avait hier avec lui ladite copie pour appuyer son accusation au procureur de la République. Mais le juge d'instruction ne l'a pas entendu et a décidé son arrestation. Abus de pouvoir Selon l'équipe de défense de Zied El Héni, le tribunal de Tunis n'avait pas la latitude de statuer dans une affaire impliquant le procureur de la République du même tribunal. L'équipe a donc demandé de transférer l'affaire à un autre tribunal, celui de Sousse. Cette requête a certes été acceptée et l'affaire sera examinée à Sousse le 24 septembre, mais le juge d'instruction a ordonné l'arrestation préventive du journaliste. «Rien ne justifie l'arrestation dans la mesure où le journaliste ne constitue pas un danger à l'ordre public et il ne risque pas de s'évaporer dans la nature», s'insurge l'avocat Lazhar Akermi. «Le mandat de dépôt à l'encontre de Zied El Héni était déjà prêt avant l'audience et a été remis au juge d'instruction par un agent de l'ordre», précise un autre membre du comité de défense. «La décision est illégale au vu de la nouvelle loi en vigueur, car elle s'inspire de l'article 128 du Code pénal qui n'est plus d'actualité», ajoute maître Akermi qui déplore que «ce n'est pas normal que le procureur de la Cour d'appel de Tunis soit un juge qui allait être révoqué pour présomption de corruption». Les journalistes, présents en grand nombre, ont organisé un sit-in devant le tribunal de Tunis pour protester contre cette décision abusive. Les avocats de la défense ont essayé de contrer cette arrestation et espéré une libération immédiate, comme dans l'affaire de la semaine dernière de Tahar Ben Hassine. Ils ont même tenté de s'opposer à l'arrestation du journaliste. Mais, le juge d'instruction a refusé et les forces de l'ordre sont intervenues avec brutalité pour arrêter le prévenu. La liberté de la presse existe, certes, en Tunisie. Mais le chemin est encore long pour l'institutionnaliser, tant les forces de rétention sont encore présentes dans plusieurs sphères de l'Etat, notamment la magistrature.