Si l'ambition de sortir du marasme une industrie laminée par ses faibles performances productives et la concurrence étrangère est louable, le challenge de la prochaine rencontre tripartite n'est, à l'évidence, pas facile à gagner au regard du décor législatif et institutionnel particulièrement contraignant planté vingt années durant en Algérie. La tripartite qui se tiendra avant la fin de ce mois de septembre sera en tout cas l'occasion pour les syndicats patronaux qui y seront présents de porter pour la énième fois à l'attention des pouvoirs publics les entraves à l'exercice d'activités productives auxquelles ils sont confrontés. Des entraves que le gouvernement connaît bien pour en avoir été régulièrement informé et dont les industriels attendent des mesures concrètes, adossées à un échéancier d'application aussi précis que possible. C'est en effet sur le terrain économique et tout particulièrement la reprise en main du potentiel industriel national qui pour diverses raisons fonctionne en nette sous capacité, que la prochaine réunion tripartite est surtout attendue. Une reprise en main devenue urgente et vitale pour répondre à une demande sociale en constante augmentation. La tâche n'est évidemment pas facile, car il s'agit non seulement de remettre à flot le potentiel industriel public, qui dispose des plus importants actifs productifs du pays, mais aussi et surtout d'être capable d'impulser une dynamique favorable à la promotion de nouveaux investissements privés industriels. Pour un gouvernement qui ne durera dans le meilleur des cas que 6 mois (l'élection présidentielle se tiendra en mai 2014), la relance industrielle à aussi brève échéance est à l'évidence un pari impossible à tenir. La tâche du gouvernement sera d'autant plus difficile qu'il doit consacrer une bonne partie de son énergie et de son temps à démanteler le dispositif législatif et réglementaire qui a engendré le marasme de l'industrie qui enregistre depuis ces cinq dernières années notamment, les plus bas taux de croissance de son histoire. Le démantèlement du dispositif en question sera d'autant plus difficile à effectuer qu'il a été imposé en 2009 par le président Bouteflika, que l'on sait très susceptible lors qu'il s'agit de remettre en causes ses décisions. Ce sont en effet, certaines dispositions insérées sur ordre du chef de l'Etat dans la loi de finances complémentaire pour l'année 2009 et celles qui allaient suivre qui ont précipité le déclin du secteur productif, en ouvrant la porte aux importations et en compliquant toutes les initiatives (privatisation, partenariat, investissements directs étrangers, complication pour les importations d'inputs etc.) Susceptibles de donner un nouveau souffle à ce secteur en perdition. L'arrêt du processus de privatisation, la généralisation du Credoc à toutes les opérations d'importation, la détention obligatoire de la majorité dans les initiatives de partenariats avec des sociétés étrangères figurent parmi les mesures phare décidées par le président de la République qui est, de par la constitution, le chef suprême de l'Exécutif gouvernemental, le Premier ministre n'étant chargé que de la mise en œuvre de ses décisions. Quand bien même ce dernier pourrait se permettre d'effectuer quelques menus réglages, il n'osera certainement pas s'aventurer à remettre en cause certaines directives imposées par le président de la république, comme par exemple, l'autorisation administrative préalable pour tout investissement supérieur à 50 millions de dinars, la règle du 49/51 pour les investissements étrangers, l'astreinte au Credoc pour toutes les opérations d'importation etc. Et à supposer que le président de la République accepte les modifications législatives que son Premier ministre souhaiterait engager, leurs mises en chantiers demanderaient de longs mois dont ne peut à l'évidence disposer le gouvernement appelé à disparaître à brève échéance avec toutes les bonnes intentions promises. Car il est bon de rappeler qu'à quelques rares exceptions près, tous les chefs de gouvernement qui se sont succédé à la tête du pays depuis 1990, ont affirmé vouloir faire du redressement industriel une priorité, mais n'ont réussi au bout du compte qu'à déstructurer encore davantage le tissu industriel existant, à coups de décisions intempestives, de réformes bâclées ou inachevées. Le tissu industriel algérien, sur lequel tous ces gouvernements souhaitaient fonder la relance économique est en réalité insignifiant. Il est composé d'à peine 1200 entreprises publiques pratiquement, toutes empêtrées dans de graves difficultés financières et managériales, et d'environ 200.000 petites entreprises privées de production en grande partie très jeunes et sans envergure, qui éprouvent d'énormes difficultés à se maintenir en vie. Exténués par les efforts surhumains que requiert l'activité industrielle soumise à des tracasseries permanentes, bon nombre d'industriels ont de surcroît fait le choix de changer d'objet social pour s'installer dans le confortable créneau de l'importation et de la revente en l'état. Tous ces blocages font qu'aujourd'hui il ne reste pratiquement plus rien de ce potentiel. La situation risque même d'empirer dans les toutes prochaines années en raison de la désertion du secteur industriel par les quelques opérateurs restants de plus en plus nombreux à investir les créneaux de commerces lucratifs. De 2010 à ce jour, l'Algérie aurait en effet perdu un peu plus de 50.000 PME industrielles pendant que le nombre des sociétés de négoce progressait, passant d'environ 12.000 entités en 2003 à environ 45.000 aujourd'hui. Le récent effectué par l'ONS en 2011, confirme cette inquiétante tendance à la désindustrialisation, avec une très nette prédominance (plus de 90%) des petites entreprises de commerce et de services, par rapport aux unités des secteurs de l'industrie et du BTP réduites à portion congrue. Les entreprises industrielles publiques ont, quant à elles, été rendues exsangues par l'interdiction qui avait été faite, dans le milieu des années 1990, d'investir dans la modernisation, l'accroissement et la réhabilitation de leurs équipements. Les usines, pour la plupart acquises durant les années 1970 et 1980, ont ainsi eu le temps de vieillir et d'être passées de mode, au moment où la technologie et l'innovation progressaient à grands pas à travers le monde. La reprise des unités industrielles publiques par des opérateurs privés ne s'étant pas faite comme prévu, les actifs industriels algériens dépassant pour la plupart vingt années d'âge ont fini par être technologiquement déclassés. Les grands pôles industriels publics des années 1970 ont commencé à péricliter dès la fin des années 1980, tandis que le secteur privé, encore fragile et empêtré dans les méandres de la bureaucratique, a du mal à prendre le relais. Les institutions étatiques créées au début des années 2000, à l'effet de donner de nouveaux ressorts à l'industrie nationale (Andi, Calpi), se confineront malheureusement au simple rôle d'enregistreuses d'intentions d'investir, chargées de tenir les statistiques de projets qui ne dépasseront pas, dans la majorité des cas, le stade de la déclaration d'intention. L'Agence nationale pour le développement de l'investissement (Andi) et le Conseil national de l'investissement (CNI), qui seront créés quelques années plus tard dans le but de promouvoir les gros investissements, ne feront guère mieux. A bien des égards, le CNI se comportera beaucoup plus comme un prédateur d'investissements qu'un facilitateur. Le nombre de projets d'envergure qui ont sombré dans le trou noir de cette institution est considérable. Le montant global des investissements en attente d'autorisation dépasserait en effet allégrement les 15 milliards de dollars, selon les estimations du Forum des chefs d'entreprises (FCE) qui cite, entre autres gros projets en attente, des complexes pétrochimiques, métallurgiques, des cimenteries, de grandes infrastructures touristiques et hôtelières, un port d'envergure continentale à Cap Djinet, des usines de montage d'automobiles et d'importants projets agro-industriels. Le même problème se pose pour les investissements que devaient promouvoir des entreprises publiques, soumises au visa préalable du Conseil des participations de l'Etat (CPE). Là aussi, ce sont des dizaines de projets industriels que souhaitaient réaliser des entreprises publiques économiques (EPE), seules ou en partenariat avec des opérateurs privés algériens et étrangers, qui végètent, pour certains, depuis plusieurs années. C'est pourquoi d'aucuns pensent que les acteurs de la prochaine tripartite doivent impérativement arracher du gouvernement le principe de la suppression de l'autorisation préalable d'investir accordée ou non par le CNI ou le CPE que l'Algérie est le seul pays au monde à pratiquer. Ils doivent en outre avoir l'accord de principe pour l'agrément rapide des centaines de projets industriels en souffrance au niveau de ces institutions depuis plusieurs années. Si elles venaient à être arrachées au gouvernement ces mesures concrètes seront de nature à booster considérablement l'industrie algérienne.