Une enseignante du primaire a été victime d'un acte de violence à l'intérieur de sa classe. Cela s'est passé la semaine dernière dans une école de Bab El Oued à Alger. L'auteur est un de ses élèves de 5e année. Incroyable mais vrai ! Au-delà de la condamnation d'un tel comportement, il s'agit pour l'observateur d'analyser la situation et d'en connaître les conséquences. L'opinion publique est habituée à ce genre d'information, mais à la différence que les cas recensés jusque-là ont eu pour théâtre les collèges et les lycées. Comment la gangrène a-t-elle pu gagner le cycle primaire ? Pourquoi à ce moment précis de l'année scolaire ? Des éléments de réponse nous sont donnés par les motivations habituelles des collégiens et des lycéens coupables de violence sur leurs enseignants. Il n'y a pas lieu de se voiler la face : le rapport à la note et à la compétition est la source première des motifs. Qu'on se souvienne de cet enseignant de mathématiques mort après avoir reçu un coup de poing d'un de ses élèves. C'était dans un collège de Tipaza en décembre 2001 lors d'une épreuve de composition. Surpris en train de communiquer avec son voisin de table, il a été rappelé à l'ordre. Conscience professionnelle oblige, le défunt appliquait le règlement scolaire qui interdit tout contact entre élèves pendant le contrôle. Que s'est-il passé dans la tête de l'élève à ce moment précis ? La confidence qu'il a délivrée à son camarade de table à l'entrée en salle d'examen nous renseigne sur son état d'esprit. « Je copierai coûte que coûte », lui avait-il chuchoté à l'oreille. A l'évidence, le coupable était angoissé devant l'éventuel échec. Obsédé par la bonne note, il ne concevait pas d'obstacle à sa stratégie de triche. Comme ultime défense : le geste du désespoir. Fatal, malheureusement. L'histoire des systèmes éducatifs est jalonnée de morts. La petite Amal de Mostaganem qui s'est suicidée en 2000 suite à son exclusion de la 8e AF. Ces dernières années, d'autres cas de suicide après des échecs au bac ont été relatés par la presse nationale. Des tueries dans des lycées américains et allemands ont eu pour auteurs des élèves en situation d'échec aux examens. En France, les agressions contre les enseignants sont devenues monnaie courante. La palme de l'horreur revient incontestablement au Japon talonné par l'Egypte. Dans ces deux pays, la pression sociale pour la réussite scolaire - et plus tard professionnelle - atteint des sommets. Elle est arrivée à un point tel que des dizaines de suicides sont régulièrement enregistrés à la lecture des résultats des examens de fin d'année. La concurrence et le « tout pour soi » sont considérés par certains comme les symboles de l'efficacité économique. Une pure illusion qui détruit la cohésion au sein de la société et produit un impact nocif sur l'équilibre psychologique des individus. Les systèmes éducatifs qui ont adopté - et non adapté - ces normes contribuent à les ancrer dans les esprits. Elles deviennent des paroles d'évangile et ses opposants ne sont pas écoutés. Le débat contradictoire est même interdit - et c'est le cas en Algérie. Silence, on tue au nom de l'éducation ! Les dérives de « l'évaluationnite » Le libéralisme économique à l'algérienne associé au système d'évaluation et de promotion hypersélectif est loin de garantir la qualité des diplômes et encore moins l'égalité devant le recrutement aux postes d'emploi, l'acte de naissance et lien filial obligent. Il alimente ainsi la grande faucheuse en victimes potentielles : adultes en chômage et adolescents en échec. Le discours officiel, qui glorifie la concurrence entre les élèves, porte une lourde responsabilité en occultant la dimension psychoaffective de l'éducation scolaire. Pis, un tel discours s'oppose aux valeurs cardinales telles que contenues dans les finalités de notre système éducatif. Lorsque l'évaluation a pour unique objectif la sélection/filtre, elle débouche sur des dérives. Outre les actes de violence, celles-ci (les dérives) sont d'ordre moral. La triche est devenue un sport scolaire très prisé par nos élèves et nos étudiants. Ils innovent sans cesse en la matière. La concurrence crée de la jalousie, favorise l'orgueil chez certains et le sentiment de dévalorisation chez d'autres. Elle mène aussi à la corruption. Dans tous les cas de figure, l'éducation morale et intellectuelle en prend un coup. La pression subie par les élèves est telle que fatalement, la relation maître /élève s'en ressent. Le décor est trop bien planté pour que de tels agissements n'aient pas lieu. Nous l'esquisserons à grands traits : une institution qui officialise la compétition et la concurrence entre les élèves ; des parents qui poussent leurs enfants à décrocher de bonnes notes pour approcher ce profil « du bon élève » défini par l'institution ; des élèves qui paniquent face aux épreuves d'évaluation ou qui se dépensent en ficelles et autres astuces pour arriver à ses fins. La curie peut commencer. Les psychologues, les psychiatres et éducateur ont de tout temps stigmatisé les effets néfastes d'une telle atmosphère de travail. Il n'existe pas au monde un élève qui vous avouera son refus du succès scolaire. Mais qu'est-ce qui fait que le désintérêt pour les études touche des enfants et des adolescents pourtant en bonne santé tant physique que mentale ? Et si l'école produisait les germes de cette désaffection par le biais de son régime pédagogique (programmes chargés, évaluation trop sélective, méthodes didactiques...). Une telle école est sourde face aux angoisses des élèves. Elle leur oppose mépris et indifférence en les classant - parfois de façon définitive et abusive - dans la catégorie des « mauvais élèves ». L'anorexie scolaire - tout comme la phobie de l'école - est le refuge des ces adolescents et enfants en souffrance psychoaffective. Ils refusent de se soumettre au régime imposé par l'école et relayé par les parents. En investissant dans les études de leurs enfants anxiété et crainte de l'avenir, les adultes ne font que transférer leur état d'âme. L'enfant n'a pas d'autre choix : soit il endosse l'angoisse parentale - ce qui peut le mener vers un comportement phobique - soit il repousse cette éventualité. Dans ce cas, il tombe dans l'anorexie scolaire. Les spécialistes situent le blocage scolaire dans ce choix impossible. Dans une remarquable contribution à un colloque organisé en 1997, la psychologue algérienne Latéfa Belarouci souligne le désarroi de ces jeunes scolarisés. Elle écrit : « Les jeunes n'ont pas la possibilité d'exprimer leur angoisse, leur appréhension de l'examen, de l'avenir. Souvent, il leur est répondu que seul le travail leur permettra de garantir la réussite ; qu'ils doivent être motivés et qu'il faut qu'ils aient confiance en eux. Mais personne, que ce soit en milieu familial ou à l'école, ne leur offre un cadre suffisamment construit pour qu'ils puissent trouver des références sur lesquelles ils pourront s'appuyer. » C'est dans un cycle infernal que sont plongés nos élèves tous cycles confondus. Est-ce une fatalité ? Des pays ont trouvé la parade en repoussant aux études universitaires la concurrence, la compétition et le contrôle tatillon des compétences et des savoirs. Cela se comprend, une fois adultes, les étudiants ont la capacité de gérer le stress et l'angoisse des examens. Ce qui n'est pas le cas des enfants et des adolescents. Aux dernières nouvelles, les élèves d'Algérie sont loin d'entrevoir cette lueur d'espoir qui les ferait se réconcilier avec l'école et son épouvantail - l'évaluation/contrôle à des fins de sélection - brandi en épée de Damoclès. L'évaluation formative a encore beaucoup à attendre avant de se voir érigée en pratique pédagogique intégrée aux mœurs scolaires. En Algérie, nous n'avons pas le temps. Tout presse : la réforme, les dossiers, les taux de réussite, les diplômes du bac ou de la licence à décerner... à distance, les projets d'établissement, les contrats de performance, la concurrence etc. Nous sommes obnubilés par les effets d'annonce. Mais en pédagogie, le temps, lui, est imperturbable : il refuse d'être bousculé. L'ignorance de ce principe élémentaire amène son cortège de dérives... y compris la mort.