Le déplacement de nouveaux locataires des bidonvilles vers Blida est perçu comme une arrogance de trop à l'encontre d'une ville mourante, sale, insécurisée et gravement saturée. Blida s'apprête à recevoir 4000 familles originaires des bidonvilles de Oued Smar et El Harrach. Info ou intox, la nouvelle, relayée par la presse, circule comme une traînée de poudre avec un sentiment d'inquiétude générale mêlée d'exaspération contre le gouvernement et l'ensemble des autorités locales. Déjà surchargée par la politique hasardeuse de recasement sauvage, la cité de Sid Ahmed El Kebir se métamorphose en un espace répugnant, affecté spécialement à l'entassement de réfugiés professionnels poussés par l'exode volontaire et l'appât du business facile. Nous sommes l'un des rares pays à jouer l'Etat providence dans le logement. Il reste à bien gérer la notion de priorité. A cette étape, malheureusement, c'est la débandade, l'incompétence et les détournements au grand jour. D'où les tensions. Vente, échange, cession et sous-location, quotas au wali et au chef de daïra hors de tout contrôle, hébergement fictif, c'est le marché florissant où les logements sociaux changent de main et parfois de vocation dont il est difficile de décrire l'état des lieux et la chaîne des complicités crapuleuses. La politique de générosité affichée par l'Etat est détournée en système mafieux où la priorité est sujette au sac de dinars. Dans les bidonvilles de Oued Smar, l'emplacement avec baraque est monnayé 150 000 à 200 000 DA. C'est un passage obligé pour une demande prioritaire de logement en dépit de la grossièreté de la manœuvre. Avec cette nouvelle arrivée massive d'une population entière, la ville des Roses devra encore une fois pousser ses murs pour satisfaire de nouvelles demandes pour la rentrée des classes, avec une moyenne de quatre enfants par famille. Il est clair que le marché parallèle qui sature le centre va exploser et le racket au stationnement, qui touche même l'enceinte du tribunal, va trouver du sang neuf. Sur le plan sanitaire, c'est la panique dans les structures publiques gravement encombrées par la surcharge de travail. Cité et complicité De nombreux bénéficiaires, indus occupants, cumulent des demandes satisfaites. En revanche, les exclus attendent indéfiniment le miracle d'une décision juste. Du point de vue de nombreuses personnes interrogées sur le sujet, ce traitement particulier dans un domaine si sensible est une forfaiture normale qui ne donne suite à aucune réaction. C'est à croire que le détournement du logement social échappe à toute notion de code administratif ou de scrupule. «Ce n'est considéré ni comme un délit ni comme un scandale ici à Blida et ceux qui doivent donner l'exemple sont les premiers à se jeter dans la mêlée pour le partage du butin», nous lance un avocat dans un cri de colère. Ainsi, cet homme de quarante ans attend une réponse de sa demande depuis 2002. Il avoue tristement avoir été «approché» pour une attribution d'un F3. Mais en échange, il aurait fallu qu'il verse une «tchipa» de 700 000 DA. «Je n'ai pas cette somme et je reste assigné sur la liste de ceux qui doivent patienter. Et il y en a qui sont avant moi.» Ces scandales trop nombreux, parfaitement connus et répertoriés des autorités à tous les niveaux, sont enracinés comme une fatalité dans les coutumes locales. Ceux qui doivent mettre de l'ordre dans ces affaires ont malheureusement les mains sales. A chaque publication de liste d'attribution, les demandeurs locaux insatisfaits perdent un peu plus leur calme et c'est l'escalade qui va parfois jusqu'à l'émeute. La ville, qui multiplie à l'infini «les cités de la rage», s'enlise dans un processus de pourrissement urbain. Est-ce seulement l'incompétence des mandataires de l'Etat qui est en cause ?