Par Fatma Haouari Paradis fiscaux, soci�t�s-�crans, caisses noires, comptes captifs, contrats fictifs, fonds sp�ciaux, etc., les g�nies du subterfuge ne manquent pas d�imagination pour renflouer leurs escarcelles sur le dos du Tr�sor public. Plus on monte dans la hi�rarchie, plus on s�en met plein les poches. La d�claration du patrimoine est loin d��tre une r�alit� alors qu�elle permet de qu�rir la v�rit� l� o� elle se trouve. Les enqu�tes sur les scandales qui �claboussent des institutions, des ministres et des hauts responsables ne ciblent que les lampistes et jamais les commanditaires qui jouissent de l�impunit� totale. Le �petit� corrompu voit bien le man�ge, alors, il se dit, si le gros bonnet vole le b�uf alors moi je volerai l��uf. Quant � la lutte contre la corruption, elle ressemble � l�Arl�sienne, tout le monde en parle mais personne ne la voit. Si la grande corruption se pratique dans la cour des �grands� et les cercles ferm�s de ceux qui tiennent le haut du pav�, la petite corruption, elle, est l�apanage du petit peuple. Elle porte plusieurs noms et se d�cline sous toutes les formes. Elle a toujours exist�, mais �tait une exception et causait la honte et le d�saveu de celui qui s�y adonnait, mais ces derni�res ann�es, elle est devenue la r�gle. C�est la qualit� du d�brouillard et du finaud qui sait �naviguer ala rouhou� car, de nos jours, il faut �tre retors, roublard et savoir nager en eaux troubles pour survivre dans un environnement hostile et impitoyable. Celui qui n�en use pas est consid�r� comme anormal ou, comme on dit dans le langage populaire, hab�s. On a m�me r�ussi le tour de passe-passe de rendre la tchipa halal par une fetwa des plus hasardeuses, puisque le pays n�applique pas la charia. Les islamistes lui donnent le doux surnom de ikramiyate. Et quand on apprend les sommes de ces ikramiyate, on se dit qu�apparemment, la g�n�rosit� n�a pas de limites ! Il est clair que les personnes qui pratiquent la tchipa n�oseront jamais la citer nomm�ment, car elle reste, malgr� tout, tabou et transgressant la morale. Elle est contraire aux pr�ceptes de la religion musulmane qui maudit les adeptes de cette pratique. Elle se pratique � huis clos ; on pr�f�re lui donner d�autres noms enrob�s qui passent mieux et choquent moins. Toute une acrobatie linguistique qui veut finalement dire la m�me chose. Ainsi, elle peut porter diff�rents termes, on �voque alors el kamoune, el qahwa, el kamoussa, mais on ne l�appellera jamais rechwa. Ou alors, on utilise des expressions du genre keuh t�fout, tih-bihoum, djib yamahoum, ana ndir aly alya oua anta dir aly alik. Ces derniers temps, � l�occasion des �lections l�gislatives et locales, la concurrence malsaine qui a pris des proportions alarmantes dans le paysage politique a donn� lieu � un comportement v�nal et indigne. L�opportunisme a pris le dessus sur la comp�tence et l�ignorance, sur le savoir. Dans cette parodie multipartiste, les voix, y compris au sein d�alliances hybrides et improbables, se monnayent � coups de chkara ; un enfant ill�gitime con�u par les beggarinedans la matrice de la gouvernance renti�re. Et m�me les �lecteurs attendent les miettes du festin : la promesse d�un logement, un local, ou tout simplement un poste de travail. L�expression souvent usit�e dans le jargon populaire est �moi je t�aide et toi efham rouhek�. Une invitation claire � mettre la main dans la poche et s�acquitter d�un d�. Dans le milieu intellectuel, on enveloppe la tchipa d�un halo litt�raire, on parle alors d���change de bons proc�d�s� de �commission�. Il y a m�me deux ministres en place qu�on affuble du sobriquet �ministres 30%� et voil� comment la corruption se d�guise, tel Arlequin, elle se farde et se montre sous son meilleur jour. Dans la sph�re �conomique et politique, on ne paie pas toujours en esp�ces. Un appartement, un lot de terrain, un contrat de vente ou d�achat, un march� publicitaire sans oublier le rabattage des prostitu�es de luxe dans des orgies nocturnes. Les scandales ne manquent pas et la presse nationale en fait constamment �cho. Dans cette situation chaotique, qui a mis et les valeurs et l��conomie nationale � genoux, les lois pour leur inapplicabilit� en l�absence de contr�le et de r�pression, la corruption tend � �tre g�n�rale, elle devient presque un d�terminant culturel. Curieusement, plus les lois sont rigoureuses comme dans le cas du code des march�s publics, et la bureaucratie pesante, plus la tchipaest tenace et ali�nante. Tchipa, un passage oblig� Hac�ne est chauffeur de taxi. En d�posant un client dans une zone de stationnement interdit, il s�est fait �pingler par un agent de la circulation qu�il n�avait pas vu : �Il m�a arr�t�, relate-t-il, a pris mes papiers et a commenc� � me faire tout un speech. Je me suis excus�, et finalement, il m�a fait un large sourire en me demandant de lui acheter une carte de recharge t�l�phonique pour r�cup�rer mon permis. Je me suis ex�cut�, j�aurai de toute fa�on pay� d�une fa�on ou d�une autre.� Les exemples de tchipa sont l�gion et chacun a une ou plusieurs histoires � raconter. L�administration est sans doute le lieu o� se pratique sans vergogne la petite corruption ; dans les bureaux, il se passe bien des choses et on se fait graisser la patte comme on peut. Si un citoyen se heurte � un obstacle et qu�il cherche une solution, il doit obligatoirement casser sa tirelire. L��pisode le plus flagrant de cet �tat de d�liquescence est quand l�ancien ministre de l�Int�rieur a pondu cette id�e rocambolesque d�exiger le certificat S12 pour les pi�ces d�identit�, assortie d�un dossier qui rel�ve de la mission impossible. A peine l�op�ration lanc�e, qu�on a commenc� � voir les tares de la gestion. Le document faisait d�faut et se le procurer �tait devenu un parcours du combattant. La p�nurie, le socle de la gestion du syst�me alg�rien, va donner lieu � des dysfonctionnements et des anachronismes. Des agents � la mairie et la da�ra vont organiser un v�ritable r�seau pour �couler le pr�cieux document � coups de sommes d�argent. Ch�rif fait partie de ces �arnaqu�s de l�administration�. Il nous dira qu�il a achet� � l��poque �le formulaire � 1 000 DA�. Et d�ajouter : �On ne peut rien faire que de se r�signer. II y a un circuit pour tout, m�me les m�dicaments n��chappent pas � la r�gle. Ils sont escamot�s dans les h�pitaux qu�on refile aux connaissances et aux malades en contrepartie d�argent alors que ces malades sont cens�s les avoir gratuitement. Tout a un co�t, si tu veux r�gler un probl�me, tu casque que ce soit pour un permis de construire ou tout autre document d�livr� rapidement. La bureaucratie est l�un des facteurs qui poussent � ce climat pernicieux. � La politique salariale au banc des accus�s On ne sait pas comment sont �labor�es les politiques salariales, car elles sont d�une extr�me dangerosit� pour un pays qui ne veut pas conna�tre le printemps arabe. Qui a d�cid� que le SNMG est de 18 000 DA et pourquoi on le rel�ve de seulement 3 000 DA � chaque fois qu�il y a une �bullition sociale, et la question que l�on se pose surtout : le craque qui fait le budget des m�nages sur quelle base le fait-il ? Par quelle gymnastique a-t-on eu recours pour d�cider qu�un travailleur alg�rien, p�re de famille, peut vivre avec un revenu aussi ind�cent ? Les bas salaires incitent les gens � trouver d�autres moyens pour joindre les deux bouts et n�h�sitent pas, sous la pression d�un pouvoir d�achat en constante �rosion, � recourir � des formules non conventionnelles. Hamid est enseignant au secondaire. Il avoue donner des cours particuliers pour subvenir aux besoins de sa famille car son salaire ne couvre pas toutes les d�penses de son m�nage. Il n�est pas le seul. G�n�ralement, les �l�ves qui prennent ces cours se retrouvent avec de bonnes notes � la fin de l�ann�e et ce n�est pas toujours le fruit de leur labeur ! Hamid explique sa d�marche par le fait que �le loyer de l�appartement gr�ve pratiquement le trois quarts de mon revenu, ma femme travaille, et son salaire sert � payer la nourriture. Il faut payer les factures et ce n�est pas �vident quand on a des enfants. La plupart des Alg�riens survivent et se d�brouillent comme ils peuvent, mais ce ne sont pas les citoyens qui ont cr�� la tchipa, c�est l�Etat. Le peuple ne fait que s�adapter � une situation qui lui a �t� impos�e�. Pour lui, �le Premier ministre Sellal devrait penser � une v�ritable politique salariale qui mettrait les gens � l�abri du besoin car c�est le besoin qui cr�e la tchipa. L��cart est abyssal entre les petits et les grands revenus�, argue-t-il. Sa�d est avocat. Il estime que �la tchipa est institu�e implicitement comme mode de gestion et de transaction ; les hauts responsables, qui ont �t� �clabouss�s par des scandales financiers, ne sont pas inqui�t�s. Cela ouvre la porte aux petits responsables de faire pareil. Il y a une complicit� malsaine. La justice n�est pas ind�pendante et nous avons une caste dirigeante intouchable qui est hors de port�e des juges. Les partis politiques donnent un exemple d�solant en recourant � l�achat des voix et autres mesquineries. M�me certaines soci�t�s �trang�res se sont mises de la partie comme si la corruption �tait un ticket d�entr�e en sc�ne. Nous sommes dans un �tat o� pr�vaut l�impunit�. Et de conclure : �Il faut un signal fort, une vraie op�ration ��mains propres�� o� on verra tomber de grosses t�tes.� Le grand probl�me en Alg�rie, c�est qu�en face d�un pouvoir absolu, il n�y a pas de r�elle opposition ou de contrepouvoir. Certes, les honn�tes gens n�ont fort heureusement pas disparu mais ils ont beaucoup de peine � r�sister. Associations, militants des droits de l�homme, syndicalistes et journalistes sont constamment harcel�s. Certains payent de leur vie sans que justice leur soit rendue. Combattre la corruption, qui saigne les richesses du pays, menace sa stabilit�, humilie les honn�tes gens, tient en laisse la justice, bride la cour des comptes et pervertit l�esprit, a besoin de plus que des effets d�annonces et des bonnes intentions. F. H. LE SOCIOLOGUE DJAFFAR LESBET �La tchipaest une fa�on de r��quilibrer le salaire officiel avec le co�t de la vie� Entretien r�alis� par Fatma Haouari Le Soir d�Alg�rie: A votre avis, quelle est l�origine du terme tchipa ? Djaffar Lesbet : La d�finition �tymologique de corruption est du verbe corrompre, venant du latin corrumpere: briser compl�tement, d�t�riorer physiquement ou moralement. La corruption n�est pas propre au niveau de d�veloppement d�un pays. Elle s�est d�mocratis�e. C�est une toile d�araign�e qu�on trouve dans les ch�teaux, les appartements et les bidonvilles. Les formes de corruption ne cessent de se diversifier, suivant le cas ou le pays, on la d�signe par les termes : dessous- detable, pot-de-vin, bakchich, concussion, favoritisme, n�potisme, d�tournement, distorsion de la concurrence dans les march�s publics, abus de pouvoir, conflit d'int�r�ts, kleptocratie, pr�varication et la tchipa est le nom made in Algeria. Il peut aussi �tre la traduction de : a chip and a chair, litt�ralement : un jeton et une chaise. Les jetons pour �tre admis � la table des joueurs de poker. Cela peut aussi venir du verbe chiper en fran�ais, qui veut dire : coler, d�rober, d�tourner. C�est un sport national qui se pratique en duo et se critique en public. Apr�s la disparition du pr�sident Boumedi�ne, son successeur inaugure un changement de cap radical. Il d�mocratise une pratique d�j� largement r�pandue, mais toujours innomm�e. Il est � remarquer que la quasi-totalit� des corrupteurs sont dans les pays dominants, producteurs et exportateurs exclusifs des �thiques pour les autres, et les corrompus sont issus de pays domin�s, sous producteurs d�l�gu�s de mauvaise gouvernance. Transparency International a rendu public son Indice de perception de la corruption pour l�ann�e 2012. L�Alg�rie a obtenu la note de 3,4 sur 10 et figure � la 105e place sur 176. Il souligne qu�elle n�a fait preuve d�aucun progr�s et que cela exprime l'absence de volont�, politique au plus haut niveau de l'Etat, � lutter contre la corruption. La liste non exhaustive des m�faits de la corruption est reconnue par tous. Elle sape la primaut� du droit, diminue le taux de croissance, accro�t le co�t des affaires et des transactions commerciales, diminue les investissements, �limine des entreprises, baisse la fiabilit� et la qualit� des produits, menace la sant� et l�environnement, favorise la mauvaise r�partition des ressources, cr�e du ch�mage, d�shonneur les auteurs, etc. Comment expliquez-vous la situation d�l�t�re dans laquelle se trouve la soci�t� alg�rienne en mati�re de corruption ? La question serait pourquoi un fl�au unanimement reconnu, officiellement honnis, religieusement interdit, constamment combattu par tous est toujours en bonne sant� ? Est-ce par ce qu�elle l�gitime l�arbitraire, favorise les incivilit�s et surtout encourage l�irresponsabilit� ? Est-ce parce que nul ne veut la subir et que la majorit� souhaite pouvoir l�appliquer � son profit au d�triment des autres ? Les �v�nements d�Octobre 1988 ont provoqu� l��ruption d�un vent de r�forme et une remise partielle de l�appareil politique. Il a favoris� l��mergence de nouveaux acteurs audevant de la sc�ne politique, en diversifiant les groupes d�int�r�ts. Les nouveaux intervenants sont des sortes de consuls repr�sentant localement les int�r�ts des firmes capitalistes. Ils sont missionn�s pour favoriser les importations, r�duire les capacit�s de production locale et renforcer l��change in�gal au niveau international en �change d�un profit personnel. Est-ce que le montage ubuesque de l��ph�m�re �empire� Khalifa peut �tre mis sur le compte de la corruption ? Oui, selon les analystes classiques. A mon sens, c�est plus une collusion qui n�a fait que renforcer la n�buleuse des rouages complexes et imp�n�trables du syst�me alg�rien. Une re-lecture n�ophyte, m�me cr�dule, de cette op�ration montre que l�objet n��tait pas l�enrichissement par le biais de la corruption, mais la destruction des capitaux du march� parall�le qui mena�ait les fondements du syst�me. Il suffit juste de s�interroger comment un individu, sans grade, sans envergure, sans exp�rience, sans formation, sans fortune connue et sans attestation communale devient, du jour au lendemain, un Bill Gates des affaires et soit l�objet d�une fascination collective ? Curieusement et brutalement, un homme �d�affaires�, surgi de nul part, est compliment� par les gouvernants, adul� par les �lites et acclam� par les masses. Les d�p�ts (ordonn�s) des fonds publics, r�ceptions officielles additionn�es aux m�nages des stars du showbiz, conjugu�s aux salaires mirobolants, �taient charg�s de cautionner la �fiabilit� et garantir la �moralit� du nouveau monsieur �loterie nationale�. Tous les parieurs �taient cens�s gagner sans risque. Tout le monde a perdu, sauf les organisateurs de la tombola. Pour revenir � la tchipaet la circonscrire au r�le qu�on veut bien lui attribuer et/ou lui faire jouer. Je dirais que c�est plus une des fa�ons de r��quilibrer ou de r�adapter les salaires officiels au co�t de la vie. Nul ne conteste le fait, qu�en Alg�rie, personne ne peut vivre d�cemment de son seul salaire. Reste � chacun de se concocter une vertu doubl�e d�une �thique adapt�e � ses besoins et conforme � son personnage public. D�ailleurs, ce terme n�est utilis� que par les administr�s dans les transactions locales. Il est souvent limit� au service rendu. Cela va de la simple d�livrance d�un papier � l�attribution d�un terrain, de logement en passant par une sous-�valuation tarifaire des taxes � la simple protection d�un v�hicule en stationnement. C�est une fa�on �l�gante de d�mocratiser et de neutraliser la t�chipa en l�assimilant � la corruption g�n�ralis�e. Ainsi tout le monde est suppos� coupable, donc nul ne peut �tre tenu pour responsable de r�pandre un virus �populaire�, b�n�fique et (presque) salutaire. C�est une �maladie� qui gangr�ne la soci�t�, mais en m�me temps permet aux individus d�am�liorer leurs conditions (niveau de vie). Ce qui explique sa n�cessaire long�vit�. L�Alg�rie se distingue par son originalit�. La sp�cificit� de son socialisme a fait que la tchipaa commenc� petite. Elle �tait innommable, inodore et incolore. Il �tait jadis mal vu d�exhiber sa richesse, sous peine de devoir la justifier. Seule une petite minorit� de bourgeois honnis, � l��poque, pouvait se le permettre. Les temps ont chang�. Souvenez-vous que durant les ann�es post-ind�pendance l�Etat contr�lait l�ensemble des circuits d�importation et de commercialisation. Tous les produits �taient th�oriquement accessibles � presque tous, � condition de faire une journ�e de queue � la porte de Souk-El-Fellah, d�avoir une connaissance dans le magasin, disposer d�un pouvoir de nuisance dans un autre secteur de l�administration, ou obtenir le produit de seconde main, moyennant un petit keuh-tedi. Les voitures vendues par Sonacome co�taient, cinq ans apr�s, trois � cinq fois plus cher qu�un v�hicule neuf, sans compter les ventes concomitantes forc�es. Si tu veux un kilo d�oignons, il te faut prendre cinq kilos de tomates ou l�inverse, suivant la production des comit�s de gestion. Si tu veux une t�l�, tu prends un moteur de hors-bord !!! import�, certainement pour le bien du peuple, mais on n�a jamais su qui �tait ce g�n�reux responsable qui se souciait tellement du confort de ses administr�s, qu�il s��tait persuad� que les bateaux de plaisance �tait le souci majeur du moment. Ainsi, on a cr�� une soci�t� de consommation et de commercialisation de la p�nurie qui invalide toutes les lois �conomiques. Dans le reste du monde, c�est l�abondance des marchandises qui est source de richesse, en Alg�rie, c�est la p�nurie qui diffuse la fortune. La m�canique est aliment�e par la �petite � corruption, adoub�e par le chef de l�Etat : �Qui peut travailler dans une ruche sans y mettre le doigt pour go�ter le miel ?� Depuis, on y met les deux mains. C�est l�Etat, au nom du bien de chacun, qui a r�pandu le virus � toute la soci�t�. Cette situation est entretenue par le fait qu�en Alg�rie, on ne vote pas des lois, mais des v�ux qui ne sont que de simples souhaits et qui n�engagent que ceux qui croient qu�ils seront exauc�s. Que faut-il faire pour stopper la tchipa ? Il faut faire une ad�quation entre salaires et travail-production. Une simple observation permet d��valuer les signes les plus visibles de la corruption. L�Etat est de loin le plus gros employeur. Le secteur lib�ral rel�ve d�une toute autre approche. Une voiture co�te 1 million de dinars en moyenne. Le salaire m�dian et m�diocre d�un fonctionnaire est de 40 000 DA, c'est-�-dire qu�il doit consacrer, plus deux ans durant, la totalit� de son traitement pour l�acqu�rir !!! Et cela sans parler des biens immobiliers. Qui osera faire une telle clarification ? La disparit� est si flagrante entre ressources et train de vie, elle est tellement criante. De m�me, cela permet aux plus d�gourdis, sinon aux moins regardants, question �thique, de s�enrichir tr�s vite. La position hi�rarchique ne traduit nullement le standing de vie. Nul n�est choqu� qu�un directeur ou un professeur parte � la retraite en restant avec sa famille dans un F3 lou� en banlieue d�Alger et que son subalterne termine sa carri�re dans sa propri�t� avec piscine et voiture de luxe. La tchipa d�aujourd�hui o� le march� impose sa loi est intrins�quement li�e aux ukases des marchands (d�autorisations) et cela dans tous les secteurs d�activit� : politique, finance, sport, �ducation, sant�, pi�t�, industrie ; aucun espace n�est �pargn�. Les effets sont plus ou moins r�gul�s par les lois, en fonction de la rigueur et de l�Etat de droit qui pr�vaut dans chaque soci�t�. Plus les richesses ou largesses de l�Etat proviennent de la force de travail des citoyens qui �lisent leurs repr�sentants, plus leur contr�le sur le pouvoir politique est efficient et plus la tchipa se limite dans des sph�res pr�cises et limit�es. En Alg�rie, l�Etat ne tire pas ses richesses de la force de travail du peuple, mais du sous-sol. Ainsi, au lieu de r�colter l�imp�t, il re-distribue la plus-value et alimente l�assistanat par la pr�bende. On d�pend � 98% de la vente des hydrocarbures, comment demander de la rigueur aux institutions qui vous nourrissent ? Du coup, peut importe ce qu�on ach�te ou comment on d�pense, ni qui est responsable, qui g�re, qui dig�re, qui contr�le. L�important est la portion que chacun amasse ou ramasse pour lui-m�me et si possible en faisant le moins. Avez-vous remarqu� qu�ailleurs les troubles sociaux suivent l��volution du co�t de la vie et qu�en Alg�rie, elles sont souvent influenc�es par le prix du baril. Dans les pays o� l�Etat tire ses richesses du travail des hommes, on manifeste pour demander le rajustement des salaires, et chez nous, on revendique la r�trocession des parts des richesses naturelles. Ailleurs, la corruption approvisionne les transactions formelles, en Alg�rie la tchipa nourrit le march� informel surtout. En Alg�rie, elle est descendue tellement bas et est devenue tellement mesquine, qu�elle touche surtout les personnes vuln�rables, elle �vite soigneusement les intouchables. C�est pourquoi, elle est de jour en jour insupportable et de plus en plus intol�rable. Les avantages dont le peuple ne b�n�ficie pas sont absolument inadmissibles mais pour combien de temps encore ? Les interjections les plus usit�es en Alg�rie sont : madite walou. Ce constat concerne et consterne la majorit� des Alg�riens n�s apr�s l�ind�pendance. Il signifie, je suis n� hier, apr�s le partage du butin, ce n�est pas de ma faute, aujourd�hui, je veux ma part. Ma�tawniche: c�est le prolongement du syndrome de �62�, depuis il n�y a plus rien � prendre. On ne m�a rien donn�, persuad�, par les exemples quotidiens que la r�ussite n�est que rarement le fruit du travail ou de l�effort, mais de l�opportunit�. L�argent est insuffisant pour avoir un logement promotionnel �social�. Il y a vingt fois plus de demandeurs que de logements disponibles. Comment trier les demandes ? Il y a, certes, des formulaires � remplir, des papiers � fournir, etc., mais si on interroge les heureux �lus d�un immeuble, il y a de fortes chances de trouver autant de circuits diff�rents que d�appartements. Il arrive que des officiels s�offusquent et menacent : �Que ceux qui parlent de tchipaen apportent la preuve !� comment apporter la preuve ? C�est comme si on demandait � quelqu�un de prouver qu�il n�est pas mort ou qu�il est en vie ! Amoins d�une loi qui d�sormais contraint les tchipistes officieux � payer un imp�t sur le revenu officiel et � d�livrer un re�u ou une facture. Hana nessten�aw, les optimistes qui temporisent, en attendent leur tour. Ma�ketb�tche: les pessimistes qui ne croient plus � l�ici-bas esp�rent en l�au-del�. Ce sont autant de verbes ou de potions placebo, pour banaliser la �petite� corruption. Car, autant la corruption interpelle la mafia politico-financi�re, r�serv�e � la haute sph�re, autant la tchipa incrimine le milieu populaire. �El-la�b- H�mida, wa recham h�mida�et j�ajouterai que nul n�ignore cette r�gle du jeu. Tant que ce mode de dysfonctionnement donne � chacun l�illusion qu�il peut �tre un jour � la place de H�mida, l�espoir demeure. Mais comme par ailleurs chacun sait que cette anomalie structurelle, mue par l�irrationalit� et l�irresponsabilit� ne peut durer qu�en excluant du paysage politique et �conomique ses antidotes que sont la comp�tence, l�innovation, la cr�ation, le savoir-faire, l�esprit d�entreprise, la productivit�, la rationalit�, la responsabilit� et l��thique, le m�canisme n�a aucune raison objective de s�arr�ter. Pour sortir de ce dilemme, il reste � choisir entre vouloir changer de mode de fonctionnement ou sauvegarder ses illusions.