Les habitants de ce bidonville sont conscients d'être dans l'illégalité et savent qu'à tout moment, les bulldozers et des escadrons de la police peuvent débarquer. Ils se prénomment Nacer, Hasni, Toufik et H'Bibo. Tous sont trentenaires et pères de famille avec un ou deux enfants à charge. Ce sont des «ouled houma» qui se connaissent depuis la maternelle. Tous sont natifs et ont grandi dans le populaire quartier de Sananès. Tous les quatre sont honnêtes travailleurs. Nacer est agent de sécurité dans un organisme de l'Etat ; H'Bibo est contractuel dans une division de la municipalité ; Toufik, le plus vieux, est peintre en bâtiment et travaille à son compte ; Hasni est gardien de parking. Tous les quatre ont un jour acquis un petit lopin de terre dans l'immense bidonville de «Coca» pour y construire un chez-soi. Nacer est le dernier arrivé, son lot de terrain de 90 m², il l'a acquis il y à peine 18 mois pour quelque 80 000 DA. Il a depuis construit deux pièces-cuisine, des sanitaires et une courette. Rien de luxueux, tout est en parpaing et la toiture et en fibrociment alors que la boiserie provient des logements vidés par les pouvoirs publics dans la ville. «Cela peut paraître insignifiant, mais cela m'a coûté plus de 600 000 DA, sans compter mon travail.» Pour pouvoir construire, Nacer a dû vendre les bijoux de sa famille et emprunter auprès de ses collèges. «Mon chef a été très compréhensible, il m'a mis dans l'équipe de nuit durant plus de 3 mois, cela m'a permis de travailler moi-même.» H'Bibo a dû débourser plus de 150 000 DA de plus pour la même surface et le même type de construction. «J'avais un second boulot au noir qui m'a permis de gagner 28 000 DA par mois en sus de mon salaire d'agent communal.» Hasni est le plus ancien, il a commencé par une location dans le lotissement voisin. «Il y a deux ans et demi, c'était le ramadhan, un voisin m'a appris que des gars allaient venir après la prière du «tarawih» pour lotir le terrain voisin. Finalement, ils sont venus vers 4 heures du matin, ils étaient une dizaine d'individus sur un tracteur. Ils ont commencé à arpenter le terrain et à tracer des lots avec de la chaux. J'ai fait de même.» Hasni nous dira avoir passé de très mauvais moments mais son opiniâtreté a fini par payer face aux gros bras. «Je connaissais la plupart d'entre eux et certains roulaient carrosse en ville.» Ils ont fini par lui céder un terrain en pente de quelque 360 m² en bordure du lotissement, à la lisière de la forêt. Hasni avait justement menacé de mettre le feu aux arbres, ce qui, immanquablement, aurait attiré l'attention et risquait de faire capoter l'affaire. «Le soir même, j'avais vendu 3 lots de 90 m² pour 200 000 DA, ce qui m'a permis d'entamer la construction de ma maison.» Pour Toufik, c'est grâce à une relation qu'il a pu avoir son lot de terrain de première main, sans intermédiaire, il le paiera 40 000 DA et mettra deux ans pour construire sa maison. Son père, ancien policier, ne voulait pas entendre parler de «bni wa skout» mais «ses états de service ne lui ont pas permis de loger toute sa famille», nous dira Toufik. Tous sont conscients d'être dans l'illégalité et savent qu'à tout moment, les bulldozers et des escadrons de la police peuvent débarquer. D'ailleurs, dès qu'une opération de démolition est entamée quelque part, ils sont sur le qui-vive et se disent prêts à en découdre. «Ce n'est pas de gaîté de cœur que nous avons choisi de venir ici mais parce que nous avons été chassés de la ville par l'étroitesse des logements, la promiscuité mais surtout les fausses promesses des pouvoirs publics et la chkara», nous diront-ils unanimement. «Nous avons été recensés 3 fois, mais ce sont toujours ceux des bidonvilles qui sont logés en priorité», dira Nacer. Ici, une grande partie des habitants sont nés à Oran. Tous ont déposé au moins 3 ou quatre demandes de logement depuis des années. «Nous avons choisi de venir patauger dans la boue, parce que les autorités ont toujours préféré servir les nouveaux venus qui occupent les bidonvilles, alors que nous, nous attendons encore», dira l'un d'eux. Cette fois-ci, ils ont pris les devants et les autorités au mot, et même si certains ne figurent pas sur le recensement, ils espèrent bien que les pouvoirs publics les prennent en charge, vu qu'ils ne viennent pas d'ailleurs et qu'ils ont déposé des dossiers et autres demandes depuis bien longtemps.