Ils étaient des milliers de travailleurs - du textile notamment - sacrifiés sur l'autel de l'économie de marché, de la conjoncture mondiale et de la mauvaise gestion. A l'heure où le taux de chômage en Algérie reste important (15%), il y a lieu de s'interroger sur le devenir des travailleurs licenciés. L'organisation internationale Femise l'a fait. Elle apporte des éléments de réponse dans un rapport élaboré par des spécialistes de l'université du Danemark en collaboration avec le Centre algérien de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread). La mise à mort du secteur du textile et cuir avait fait leur malheur. Alors que près de 14.000 travailleurs attendent le verdict du Conseil des participations de l'Etat (CPE) pour la dissolution de 142 entreprises publiques des cuir et textile, les employés qui ont été mis à la porte ont dû faire confiance à leur sens de la débrouille. Si certains se sont (convertis) dans l'informel ou se sont installés à leur propre compte, d'autres ont plutôt choisi de se tourner vers d'autres activités. Y a-t-il une vie après le textile ? " Oui ", répondent les enquêteurs de l'organisation Femise ayant élaboré le rapport 2005 sur le textile dans le Maghreb et dont nous avons pu nous procurer une copie. Selon ce rapport, 80% des travailleurs licenciés auraient retrouvé un poste d'emploi dont 47% dans le secteur du textile, alors que 26% se sont installés à leur propre compte et 29,2% sont employés dans d'autres activités. Parmi les travailleurs licenciés ayant choisi de se recycler dans d'autres activités que le textile, les enquêteurs précisent que 20% étaient chefs de familles (63 % d'hommes), 28 % ont été employés dans des petites et moyennes entreprises (PME) et 36% dans des sociétés employant plus de cinquante personnes. Tout n'est donc pas perdu pour les travailleurs licenciés. La reconversion ne s'est, cependant, pas déroulée sans peine. Les licenciements ont provoqué de véritables drames sociaux. 23% des travailleurs licenciés ont déclaré avoir changé leur train de vie et diminué considérablement leurs dépenses quotidiennes. Pis encore, une grande majorité des travailleurs interrogés ont affirmé avoir eu des problèmes de santé physique ou mentale. D'autres ont déclaré que le changement de leurs conditions socioprofessionnelles a mené leur couple au divorce.... Mais il n'y a pas que des scénarios catastrophes car il y a également des histoires qui se terminent bien. Ceux qui s'en sont bien sortis A regarder le rapport Femise de plus près, l'on se rend compte que beaucoup de travailleurs licenciés s'en sont, en effet, bien sortis. Il y a d'abord ceux qui gagnent plus d'argent qu'au temps où ils travaillaient dans le textile : selon le rapport, 80% des travailleurs ayant retrouvé de l'emploi dans d'autres domaines se réjouissent aujourd'hui du fait que leurs revenus se soient améliorés (de près de 55%) par rapport à leurs collègues réemployés dans l'habillement. Ceci est d'autant plus vrai, note le rapport, que 43% des travailleurs réemployés dans le secteur de textile gagnent tout juste le salaire minimum ou peut-être moins. Mais la catégorie de travailleurs licenciés qui a le mieux réussi est celle - surprise ! - des femmes. Madame est devenue entrepreneur ! L'enquête Femise a révélé que 69% des travailleurs qui se sont installés à leur propre compte sont de la gent féminine. Cela s'explique surtout, d'après le rapport, par le fait que ces femmes ont rencontré de nombreuses difficultés dans leur quête d'un emploi et n'ont eu, pour seul recours, que de monter leur propre entreprise. Fait curieux : les enquêteurs ont remarqué qu'une grande partie des femmes entrepreneurs ont moins de 30 ans (50%), certaines ont un niveau d'instruction peu élevé et ont une famille à nourrir. L'entreprenariat féminin trouve également ses racines dans le fait que le secteur du textile et cuir a toujours été dominé par les femmes. Et ce sont elles qui ont été en première ligne au cours des compressions de personnel. D'après le rapport, alors que 72,3% de femmes ont été congédiées dans la région d'Alger, seulement 27,3% d'hommes ont retrouvé le chemin de la sortie. Les responsables du secteur du textile seraient-ils machistes ? Pas forcément. En fait, les responsables des entreprises des cuir et textile ont choisi d'épargner, dans les processus de licenciements, les chefs de familles. Seulement 11% des travailleurs congédiés, souligne le rapport, avaient des responsabilités familiales. Ceux qui éprouvent encore des difficultés Beaucoup de travailleurs licenciés ont trouvé refuge dans l'informel. Une enquête conduite avec des " trabendistes " a révélé que le chiffre d'affaires du secteur informel de l'habillement et du textile durant les dix dernières années peut être estimé à une moyenne de 300 millions de dollars par an. En 2002, le secteur informel a contribué à hauteur de 4,4% dans la production de cuir et textile dont 3,7% pour le textile et l'habillement et 0,7% pour le cuir et la chaussure. Les enquêteurs de Femise n'ont cependant pas pu mesurer avec exactitude l'ampleur du phénomène de l'informel en Algérie. Mais ils ont remarqué que même des entreprises légales emploient les pratiques de l'informel. Pour étayer cette assertion, ils affirment que sur 52 sociétés privées enregistrées auprès de la Chambre algérienne de commerce et d'industrie (CACI) en 1998 dans l'Algérois, seulement 15 ont renouvelé leur agrément en 2004. Les enquêteurs qui ont visité ces entreprises ont été surpris de voir que les employeurs leur refusaient catégoriquement de fournir la liste des employés activant depuis 2001. Preuve que ces entreprises n'emploient pas des pratiques très orthodoxes... Une grande partie de ces entreprises s'appuient, d'après le rapport, sur les contrats à durée déterminée (77% des employés travaillent sous CDD) pour pouvoir recruter et congédier à leur guise et selon le marché. La vague des licenciements a entraîné, pour certains travailleurs, de véritables catastrophes sociales. Le rapport souligne que 20 % des personnes congédiées sont encore au chômage. Il s'agit surtout, souligne-t-on, des personnes ayant un degré d'instruction peu élevé. Les enquêteurs de Femise ont été frappés de voir qu'une grande partie des travailleurs au chômage (52% plus exactement) ne sont même plus à la recherche d'un emploi. " Le licenciement a laissé des séquelles psychologiques et physiques chez 14% des travailleurs qui ne peuvent plus aujourd'hui être réemployés ". Et la déconfiture des entreprises algériennes de textile n'a pas fini de faire des dégâts.