2014 sera en France une année forte de commémorations de guerres l A commencer par le centenaire de la Guerre Mondiale de 14/18 et le 70e anniversaire de la libération de l'occupation allemande en 1943 l L'apport des Nord-Africains, particulièrement Algériens, a été considérable ? l En Corse, le président Hollande a fait un premier pas en distinguant des goumiers marocains l A quand la reconnaissance du lourd tribut payé par les Algériens ? Lyon De notre correspondant Le déplacement en Corse du président François Hollande, vendredi dernier, avait d'abord une valeur nationale : être présent sur une île qui reste une bombe à retardement pour les autorités françaises depuis plusieurs décennies en raison des difficultés économiques et des velléités autonomistes toujours vivaces. Le deuxième objectif était de faire un signe envers le Maroc, alors que Jean-Pierre Raffarin, le Monsieur Algérie du gouvernement français, était à Alger pour annoncer un sommet Sellal-Ayrault en décembre. L'occasion du 70e anniversaire de la libération de l'île des occupants allemands, en 1943, a été ainsi mise à profit pour honorer, en présence du prince Moulay Rachid, frère du roi Mohammed VI, la mémoire des goumiers marocains qui s'illustrèrent dans ces combats. Les remerciements retentissants au Maroc, prononcés par François Hollande, ont eu quelque chose d'inédit : «Rien n'aurait été possible s'il n'y avait pas eu l'apport irremplaçable des 6600 soldats marocains envoyés ici à l'appel du roi Mohamed V…» Le président français rappela que 50 Marocains étaient morts lors de ce combat corse, et médaillant sept survivants. Et les milliers d'Algériens morts sur les champs de bataille ? Il a été toutefois totalement avare de paroles en direction de l'Algérie. Lors de la Première Guerre mondiale, combien d'Algériens périrent sur les champs de bataille ? Et en 1943, d'où la libération est-elle partie ? Le siège de la France libre était à Alger, et des milliers d'Algériens et de pieds-noirs furent enrôlés, dès 1943, pour préparer la phase finale de la Seconde Guerre mondiale. Ménageant la chèvre et le chou, mélangeant le passé et le présent, François Hollande se contenta de déclarer : «A cette cérémonie, je veux associer un hommage à tous les soldats d'Afrique du Nord et des pays africains qui sont venus sauver l'honneur de la France et à qui la France sera toujours redevable. C'est pourquoi elle a répondu à l'appel, notamment du Mali, pour exercer à son tour le devoir de solidarité.» On verra dans les prochains mois si la France, sous la responsabilité de son chef de l'Etat, retrouvera réellement le fil de la mémoire pour effacer l'amnésie sur des pages peu glorieuses, comme l'engagement contre leur gré d'Algériens mal récompensés un certain 8 Mai 1945 meurtrier. François Hollande annonce que «tout au long des prochains mois, nous irons dans tous les lieux où il y a des souvenirs à rappeler, des flammes à raviver, des héros à fêter et des villages à honorer. Toutes ces sentinelles de la liberté, toutes ces personnalités glorieuses anonymes qui ont fait notre histoire, qui sont l'esprit de résistance. Nous sommes leurs obligés, c'est-à-dire que nous leur devons maintenant d'engager des débats plus pacifiques qui sont ceux de la dignité humaine et qui permettent à la France de faire entendre sa voix partout où elle estime que les droits des peuples sont blessés et que les libertés sont atteintes.» Les points «rouge sang » de l'histoire François Hollande se rendrait-il à Guelma, Sétif ou Kherrata pour panser les blessures dont il parle, là où s'est joué le sort de la colonisation injuste, faite de brimades et de répressions sanglantes, ou sur les fronts sanglants de France où les Algériens tombèrent pour la libération de l'«amère» patrie ? Ou bien encore à Madagascar, ou au Sénégal ? Armelle Mabon, historienne, estime que les autorités françaises ont un vrai challenge devant elles pour remédier à la perte de mémoire de ce que la France a couvert jusque-là. Pour l'auteure de Prisonniers de guerre indigènes, paru aux éditions La découverte, «ce symbole réparateur d'absence de reconnaissance ne doit pas faire oublier que tous les anciens combattants coloniaux et nord-africains ont attendu des années avant que la France n'accepte de décristalliser leurs pensions» (…) «la France répare des injustices mais qui n'entachent aucune institution. Par contre, quand l'Etat français reconnaîtra le massacre à Thiaroye au Sénégal des ex-prisonniers de guerre africains, qui avaient osé réclamer leur rappel de solde ? Le 1er décembre 1944, l'armée a tiré sur ces hommes sans défense, alors qu'ils avaient été spoliés de leurs droits par quatre longues années de captivité. Quand l'Etat français reconnaîtra que les rapports officiels ont été écrits pour couvrir ce crime commis par l'Armée ? Quand l'Etat français reconnaîtra que les tirailleurs du service d'ordre n'ont pas pu tirer sur leurs frères d'armes ? L'armée a sali son honneur en spoliant, tuant, blessant, jugeant, excluant des hommes dont aucun ne pourra recevoir la moindre médaille. Le pouvoir civil, depuis près de 70 ans, s'est rendu coupable d'avoir couvert ce massacre en laissant une histoire officielle s'écrire sur la base de rapports mensongers. Quand l'Etat français réhabilitera ces hommes venus combattre pour libérer la France ?» Combien y en avait-il en septembre-octobre 1943 à l'assaut des nazis en Corse ? La question est ouverte, mais on sait dans ce qu'on appelle «les goumiers marocains» se trouvaient quelques Algériens et Tunisiens. C'est une page d'histoire qui reste à écrire, couleur rouge sang. En tout cas, pour la professeure Armelle Mabon, «il faudrait vérifier si des combattants algériens ou tunisiens ont été un jour honorés», comme ils l'ont été en Corse vendredi dernier. La réponse est peut-être dans la question.