Le remaniement du gouvernement ainsi que les changements qui ont touché le département du renseignement et de la sécurité, intervenus dès la rentrée sociale, n'ont de cesse de susciter moult interrogations notamment celle de savoir qui détient réellement les leviers du pouvoir. Hommes politiques et politologues se sont essayés à des lectures. La dernière en date est celle de Mohamed Hachemaoui (politologue, enseignant et chercheur à l'université Paris VIII) présentée dans un entretien paru dans le journal français La Croix. Pour M. Hachemaoui, il ne fait aucun doute que les services de renseignement n'ont jamais perdu de leur poids et détiennent le véritable pouvoir. «Ce gigantesque remaniement et le prétendu démembrement du DRS ne sont qu'une mise en scène ! Il n'est pas dans l'intérêt du DRS d'apparaître au grand jour comme le détenteur des clés du pouvoir. Il n'est pas dans son intérêt que l'on puisse décrypter les mécanismes du pouvoir et de la prise de décision. Dans les régimes autocratiques, le mécontentement populaire se cristallise autour de la figure du raïs, perçu comme la personne qui concentre les rênes du pouvoir. En Algérie, le DRS se cache. Il fait sauter des fusibles chaque fois que nécessaire, opère des rotations du personnel civil, voire militaire, pour ne pas avoir à rendre des comptes et ne pas subir d'attaques frontales. L'opacité entretenue est une ressource de ce pouvoir», explique le politologue. Il étaye son argumentaire en attirant l'attention sur le fait que la situation de vide sidéral occasionnée par l'absence du Président pour raison de maladie a montré que «le pays est gouverné ailleurs». «Présenter un Président qui a vaincu la maladie et qui a vaincu ses adversaires les plus redoutables au sommet du pouvoir permet d'alimenter un semblant de vie politique et d'orienter les observateurs vers des dérivatifs pour que le DRS puisse préparer l'après-Bouteflika. Cela permet de gagner du temps et surtout d'entretenir le flou… Le régime politique algérien est régi de facto par des institutions informelles», dit-il. M. Hachemaoui estime que la situation actuelle «rappelle celle d'avant l'élection présidentielle de 2004. A l'époque, le scénario de la prétendue neutralité de l'armée vis-à-vis de l'échéance électorale a été entretenu avec une grande maestria, alors qu'un bras de fer opposait le président Bouteflika et le chef d'état-major de l'époque, le général Lamari… Aujourd'hui on veut faire croire à la même chose, que le DRS serait en perte de vitesse, démembré, voire démantelé par un clan présidentiel superpuissant… En réalité, le DRS se met en retrait et se protège. Il permet éventuellement une réélection ou une prolongation de mandat du Président, en la présentant comme un coup de force présidentiel». La dissolution de la police judiciaire du DRS n'est pas une révolution, note le même analyste. «Le DRS menait des enquêtes avant 2008 (date de création de cette police judiciaire), il n'a pas besoin de cet appareil pour mener des enquêtes sur la corruption… Cette dissolution ne le démembre pas. Il faudrait une justice indépendante pour mener la lutte anticorruption… et la justice est totalement inféodée au DRS», indique M. Hachemaoui, pour qui le limogeage des deux hauts responsables du DRS, les généraux Tartag et Attafi, est intervenu comme une sanction pour la gestion, en janvier dernier, de la prise d'otages de la station gazière de Tiguentourine. «Cette sanction ne pouvait toutefois intervenir pendant la longue absence du Président car elle aurait mis en exergue le fait que l'armée est tout à fait indépendante du pouvoir présidentiel, qu'elle peut opérer des changements dans le commandement supérieur sans l'aval du Président. Pour la forme, il fallait donc la présence du chef de l'Etat. Ce qui a, de plus, permis d'accréditer l'idée de son retour en force.»