Lundi soir s'est éteinte l'une des voix du chaâbi parmi les plus mélodieuses qui ont marqué trois ou quatre générations de mélomanes, celle de Ahcène Saïd. L'artiste est décédé suite à une longue maladie à l'âge de 86 ans. Il laisse derrière lui un riche palmarès musical qui avait bercé, en son temps, toute une jeunesse grâce au talent des interprètes de l'époque, parmi lesquels El Anka bien sûr, Guerouabi, Boudjemaâ El Ankis, Amar El Achab, Omar Mekraza, Farid Oujdi, Rédha El Djillali, pour ne citer que quelques-uns des ténors, dont l'étoile brillait fort au firmament de l'art musical. Ahcène Saïd faisait précisément partie du lot des grands noms de la chanson populaire qui avait connu un essor extraordinaire au lendemain de l'indépendance du pays. Il faut dire aux jeunes d'aujourd'hui, qui ont une rare idée de l'artiste disparu, que Ahcène Saïd avait comme atout sûrement la voix la plus singulière du chaâbi. Une voix d'or qui pouvait passer du aâroubi au haouzi avec une facilité déconcertante et une limpidité qui vous laisse rêveur. C'est dire que dans le vieil Alger d'alors avec sa Casbah, comme incommensurable foyer culturel où l'art de vivre se conjuguait avec la promotion artistique. Il fallait avoir une sacrée personnalité et des ressources musicales solides pour affronter la concurrence et conquérir le public. Ahcène Saïd, qui avait intégré, rappelons-le, au début de sa carrière, la troupe musicale d'El Anka, a suivi un parcours atypique pour parvenir au sommet. Il a longtemps taquiné le répertoire national du patrimoine melhoun avant de se lancer dans la chansonnette commerciale qui lui a permis d'élargir encore davantage son audience. Ahcène Saïd, à force de persévérance et de travail, a fini, au bout de longues années de pratique exercée lors des fêtes familiales ou des concerts publics, par acquérir le titre honorifique de «cheikh», une sorte de statut reconnu par ses pairs qui lui témoignaient une grande admiration, à commencer par le maître du genre, en la personne El Hadj M'hamed El Anka. Le défunt, qui laisse la chanson chaâbie orpheline d'une voix exceptionnelle, a cotoyé les plus prestigieux chanteurs de la génération post-indépendance, comme El Hadj M'rizek, El Hadj Menouar ou Bourahla, qui a fait école à Koléa. Il a donc lui aussi marqué son passage par un style et une maîtrise vocale dans les istikhbars dont peu de chanteurs peuvent se prévaloir. L'auteur de Ghodbane est parti, mais avec une pointe d'amertume quand même lorsqu'on sait l'oubli médiatique dans lequel il a été enferré pendant des années.