Les faits historiques consignés dans les sources sont comme des pierres et des briques, rien de plus : un écrivain seul peut, avec ces matériaux, construire un bel édifice. Tewfik El Hakim a été parmi les écrivains arabes pionniers qui ont participé au rapprochement qui s'est opéré au début du XXe siècle, entre l'histoire et le roman. Dans les années trente, il n'y avait qu'un pas à faire pour aboutir à une conception juste des mémoires, où les esquisses de caractères et de personnages jouent un rôle si important. Justement, les esquisses de Tewfik El Hakim dans « le retour de l'âme »(1) étaient vivantes, attrayantes. Elles n'étaient pas des copies, des fac-similés, lesquels, toujours incolores, ne disent rien, mais une reproduction artistique des personnages et des événements. Un critique égyptien a dit de Tewfik El Hakim, à l'époque : « Le degré de mérite de l'œuvre d'un écrivain dépend de son talent. Et vous pouvez admirer dans : Le retour de l'âme, un homme avec lequel vous n'auriez pas voulu vous rencontrer, que peut-être vous auriez toujours connu comme l'être le plus fertile et le plus ennuyeux. » Appartenant à l'école réaliste, Tewfik El Hakim disait de ses œuvres : « Mon écriture entreprend de représenter des personnages, des caractères, des événements, autrement dit, de retracer des tableaux de la vie, c'est-à-dire qu'elle s'engage à être fidèle à la réalité qu'elle se propose de reproduire. » Pour les critiques « réalistes », cette fidélité est la première exigence, la première tâche de la littérature. En effet, ils jugent le talent littéraire d'un auteur avant tout en examinant jusqu'à quel point il satisfait à cette exigence et s'acquitte de cette tâche. Dans son recueil de nouvelles : La fleur de la vie, Tewfik El Hakim s'est distingué par une remarquable intelligence et une originalité des vues et de l'expression. L'écrivain possédait une faculté exceptionnelle de rendre fidèlement les faits de la réalité. Ses croquis sont nets et vigoureux, ses tableaux sont éclatants et frappent d'emblée ; l'impression qu'ils produisent agit sur l'esprit du lecteur, oriente dans tel ou tel sens ses vues sur certains aspects de la vie. Ces qualités énumérées donnent un aperçu sur la force innovatrice de notre auteur qui n'est pas essentiellement dans la puissance créatrice, dans des dons d'artiste, mais aussi dans une pensée profondément sentie, pleinement consciente et développée. La vigueur de cette pensée fait la force principale de son talent. Dans son best-seller : Journal d'un substitut de campagne (2), Tewfik El Hakim a démontré qu'il possède la faculté de concevoir rapidement toutes les formes de vie, de se transporter dans tout caractère, dans l'âme de tout homme. A l'époque, l'idée qui tenait à cœur à l'auteur de La fleur de la vie, qui était la source de son inspiration et l'élevait parfois dans la représentation fidèle des faits de la vie sociale, jusqu'au sublime, était celle de la dignité humaine que dégradent les préjugés, l'ignorance, et aussi l'injustice de l'homme envers son prochain, ou sa mutilation volontaire. Durant sa vie, Tewfik El Hakim était aussi un écrivain militant(3). Il a été parmi les premiers auteurs arabes qui ont écrit sur la révolution algérienne et aidé le peuple palestinien meurtri et chassé de sa terre, sans oublier ses autres engagements pour toutes les causes humaines justes. (1) Roman historique pour la révolution égyptienne de 1952. (2) Il reste jusqu'à présent le seul best-seller mondial de la littérature romanesque arabe. Il a été traduit en 20 langues. Dans les années1940, la traduction française d'Aba Eben s'est vendue à 50 000 explaures en France. (3) Sans oublier que Tewfik El Hakim reste parmi les plus grands dramaturges arabes.