Le nouveau Cheikh Sidi Bémol est arrivé, un cru choc : viril, paillard et généreux. Comme son nom ne l'indique pas, Izlan Ibarhiyen II est un album qui repousse les horizons au large, au lointain. Par petites touches, Cheikh Sidi Bémol recrée des univers oubliés, sortant de l'oubli toute une culture. Oyez, oyez, les marins sont de retour. Anthropologue, archéologue, avant-gardiste, Hocine Boukella ose un travail titanesque. Viril parce que les marins, loin des leurs, loin des rivages rêvent d'amours. Comme Ulysse qui a laissé Pénélope derrière lui, ou pas d'ailleurs, ils subliment la femme, les femmes. La poésie en accompagnatrice de l'Odyssée, complice et guérisseuse. Des plaies que le sel blesse et referme. «je pense à Ulysse écoutant les sirènes/imiter sa femme qu'il rêvait de revoir enfin/Bien que ligoté au mât par de lourdes chaînes/Il tenta de se libérer pour sauter dans l'abîme/j'ai vécu cela comme Ulysse, mes frères !/ J'ai pris le bateau et j'ai suivi le chant de Thalassa/Sans savoir où il me menait, ballotté au gré des rêves/Anzar, je m'en remets à toi, jette-moi où bon te semble». Anzar, qui se souvient de cette divinité dans une Algérie sous chloroforme ? Qui se souvient que nous sommes, avant tout et depuis bien longtemps, Méditerranéens avant de nouer des liens douteux avec le Machreq ? La Méditerranée, terre, non mer, de nos rêves, de nos espérances ? Mare Nostrum. «Ô terre des Kabyles/Qui protège la montagne/Je suis ton fils, moi aussi/Tu m'appelles Méditerranée/ Je suis ta sentinelle, ta muraille protectrice/J'embellis ton front, j'anoblis ton visage». Paillard, car le marin fantasme à bord de son bateau, idéalise son retour sur terre ferme. Il voit les ports comme des moments rares pour briser son isolement, se rapprocher d'autres cultures, boire et festoyer ! Avec du thé ou du rhum, selon. Mais festoyer… Et Cheikh Sidi Bémol invite à la fête, au partage. L'enfermement est une mort lente, sujet à la détestation de l'autre, l'identité est forcément plurielle. Les marins, de par leurs voyages et découvertes, s'ouvrent au monde, refusent la crispation identitaire. Ils puisent aussi bien dans leurs racines que dans les terroirs foulés au gré de leur odyssée sans fin. «Hourra, les filles, jolies colombes/ Où êtes-vous ? Nous arrivons/ A Cap Djinet, nous débarquons». Les ports d'attache sont multiples. Ode à l'aventure. «Elle a les lèvres d'une jeune fille/Et des dents de requin/As-tu déjà entendu, mon brave/Hurler celui qu'elle embrasse ?» Généreux, parce que l'album l'est, parce que Cheikh Sidi Bémol l'est. L'artiste ne s'est jamais contenté de reprendre, à l'infini et au-delà, les mêmes notes, jusqu'à la saturation. Il est allé chercher Led Zeppelin pour l'unir à Cheikh Hamada, bien avant le mariage pour tous, il est allé recueillir la musique manouche pour l'assembler avec le rock à la sauce gourbi, créant un monde magique, évident et inconnu à la fois. Cheikh Sidi Bémol, en prospecteur d'un passé non décomposé, a fouillé l'histoire pour lui donner sens. Oui, nous venons bien de quelque part… Notre destination est passé conjugué à un avenir des plus incertains. L'optimiste en bandoulière. Comment se passer de l'ironie de Cheikh ? Cet humour so british qui le caractérise ? Dans le titre L'été à Bougie, avec son auteur, le poète Ameziane Kezzar, il fait un clin d'œil au machisme méditerranéen. «Les adolescents tournoient autour des filles/allongées sur les serviettes, tels des goélands/ Mais, au moindre contact, les parents les chassent». Tu regardes mais interdiction de toucher, attention ! Un album plein de vie, de fureur, de joie et d'intelligence. «Je jure de n'arrêter/Que si l'eau cesse de couler !» Oui Cheikh, uniquement dans cette condition. Izalan Ibahriyen II, Cheikh Sidi Bémol, CSB productions, sortie 28 octobre.