Des robes blanches décolletées, des baisers, des déclarations d'amour, du champagne ! Tout ça où ? Chez nous, au vu et au su de tout le monde ! À Tipasa, pas très loin des ruines. Me revient d'ailleurs une scène du film de Lamine Ammar-Khodja, Demande à ton ombre, où des policiers interrompent une lecture de poésie improvisée par un groupe de jeunes Algériens bucoliques près du théâtre romain à l'ombre tutélaire de Camus : «Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure.» Initiative appropriée, mais les poètes furent délogés. Dans leurs protestations, ils disent aux flics : «Mais vous autorisez les mariages !» En voilà un justement et pas n'importe lequel, un mariage collectif d'une trentaine de couples chinois. Parmi eux une Algérienne. La petite histoire retiendra ce couple «mixte» comme on dit. Mais là n'est pas l'essentiel. À ma connaissance, c'est la première fois que «des étrangers» étalent leur différence, qu'un groupe pas de chez «nous» affirme sa présence et prend toute sa place dans le paysage algérien. Les choses changent, celles qu'on croyait les plus réfractaires. Souvent en me promenant je me fais la remarque que dans Alger, comparée aux autres capitales que je connais, ce qui frappe c'est l'absence d'étrangers. Être entre soi, parlez de soi, lire sur soi (il est rare de trouver d'autres livres que des livres écrits par des Algériens ou qui parlent de l'Algérie) est une donnée de la vie sociale et culturelle algérienne. Nous ne sommes pas seulement le centre du monde, comme nous le pensions dans les années 70, mais le monde s'arrête chez nous. Alors saluons cette manifestation publique d'un mariage collectif chinois. Une intrusion de l'altérité. La vraie, pas celle des barbes et des voiles. Nous avons maintenant nos émigrés. Pas seulement des clandestins, nous avons aussi nos émigrés reconnus. Et tout ce qui vient avec. Echapperons-nous aux manifestations racistes et xénophobes que nous dénonçons à longueur de temps chez les autres ? Déjà sur les réseaux, certains profils bien de «chez nous» ne se privent pas de remarques douteuses sur leur nombre, leur capacité de se reproduire. Le «péril jaune» n'est pas loin dans l'inconscient de chacun. La seule chose que l'on n'entend pas c'est : «Ils viennent prendre notre travail !» Et pour cause. Allez sur www.chouf-chouf.com et vous vous poserez comme moi la question : pourquoi le couple mixte a habillé son petit garçon en saoudien ?