En 2007, le ministère de la Culture dégageait des budgets pour des travaux à mener dans La Casbah. Les chantiers ont commencé début 2008. La pression de l'Unesco n'a pas été vaine. L'institution onusienne a été saisie par plusieurs militants. Ils activent au sein d'associations algériennes, travailleuses et sincères, et non celles qui sont à l'affût du profit ou qui voient La Casbah comme les seins de la louve sauvage de Rome. Une somme de 400 millions de dinars a été allouée pour chaque douéra (maison). C'est la première tranche. La deuxième partie devrait être versée fin 2014 ou début 2015, nous apprend une source au fait du dossier. Mais grand bémol. Des propriétaires de maisons dénoncent des détournements de fonds. Ce qui a longtemps été rapporté par les médias ces dernières années n'a pas changé, selon un militant associatif. Rappelons au passage que des journalistes sont poursuivis en justice pour des écrits mettant en cause la gestion des travaux de La Casbah. Cet élément est à souligner pour rappeler que La Casbah, au delà du volet historique, culturel et émotionnel, demeure un sujet sensible à aborder. Les graves accusations de détournements sont assumées. Belkacem Taguersat, la cinquantaine, est un enfant de La Casbah. Il est né et a grandi dans la douéra que son grand-père a acheté en 1886. «Mon père et ses frères sont nés ici. Aujourd'hui, mes enfants représentent la quatrième génération», précise-t-il. Pour entrer dans le vif du sujet, M. Taguersat s'enflamme : «J'accuse tous ceux qui sont à l'origine du massacre en cours. Je porte l'entière responsabilité de ce que je dis.» Il est envahi par le désespoir en décrivant l'état des lieux. Il nous emmène dans la douéra qui a abrité sa famille depuis maintenant 127 ans. Ses principales cibles : les bureaux d'études et les entreprises désignées pour les travaux. «Ils ont détruit nos maisons au lieu des les sauver», tonne-t-il. «Regardez, ils ont dénaturé la construction originelle. Ils ont enlevé les poutres d'antan pur les remplacer par des madriers. Le pire, c'est que dans beaucoup de maisons, ils n'ont pas changé les poutres et ont eu l'audace de facturer leur remplacement.» Au niveau du patio de la douéra, nous constatons l'état de chantier. Du ciment jeté à même le sol. Des arcades maintenues par du bois blanc. Première pièce visitée : la cuisine. «Regardez les murs. Là aussi, ils ont commencé les travaux et se sont arrêtés», explique Belkacem Taguersat. A première vue, le taux d'avancement des travaux ne dépasse pas les 30%. Cette proportion est valable pour l'ensemble des pièces. L'une d'entre elle, au premier étage, a été laissée à l'état de crépissage. «Les maçons ont collé un mélange de ciment et de chaux. Pour l'instant, ils ont respecté les anciennes techniques de construction. Mais dans un autre compartiment, c'est le bricolage», affirme M. Taguersat. Il précise qu'«il a été dans l'obligation de puiser dans ses économies pour atténuer les dégâts». Il indique avoir dépensé 70 millions de centimes. Il est fonctionnaire, son salaire n'est pas conséquent. Selon lui, «les entrepreneurs ont disparu dans la nature. Ils ont débuté et sont partis. Nous ne les avons plus revus. Ce calvaire dure depuis des années». M. Taguersat a été obligé de fermer des pièces de la douéra pour empêcher la poussière d'envahir le reste de la maison. Nous entrons avec lui dans une autre ghorfa (chambre). «Ils ont tout laissé à l'état de chantier. Au lieu de finir les travaux pour que mes enfants dorment en paix, ils nous ont arnaqué et arnaqué l'Etat algérien, avec la complicité de plusieurs subordonnés», déclare-t-il. Patrimoine en péril Si M. Taguersat n'a pas la langue de bois, c'est parce qu'il estime qu'aujourd'hui, «outre sa situation personnelle, c'est La Casbah toute entière qui est menacée de disparition». «Veut-on la disparition de La Casbah pierre après pierre ? Où sont passés les milliards de centimes prévus pour le plan de sauvetage de nos maisons ?», s'interroge-t-il. Plusieurs raisons ont incité notre interlocuteur à sortir de son silence. «La Casbah appartient à tous les Algériens. C'est un patrimoine national en péril», argumente-t-il. En réalité, si M. Taguersat – de même que les habitants de la médina – étaient heureux d'apprendre le lancement du programme de sauvetage, il avoue qu'ils ont vite déchanté. A l'heure actuelle, des familles propriétaires, il est utile de le préciser, sont divisées. Des épouses sont retournées chez leurs parents ; des enfants sont pris en charge par des grands-parents. Notre témoin, pour prouver qu'il ne s'agit nullement d'une affaire personnelle ou d'un cas particulier, nous présente ses voisins. Ils confirment son témoignage et soutiennent son discours. L'un d'eux, Mohamed Meziani, nous invite dans la demeure familiale, héritée de son grand-père qui l'avait acquise dans les années 1880. Chez lui, le danger guette. Les fondations sont menacées. Dans la cave, les eaux usées de la maison mitoyenne traversent le mur. «Les entrepreneurs n'ont pas jugé utile de remédier à ce problème, alors que c'est le principal facteur de chute des maisons», regrette-t-il. En effet, selon un connaisseur de La Casbah, le plus grand ennemi de la médina est l'eau. Si sa sortie originelle est bouchée, le plus souvent par les squatteurs et les locataires, le liquide s'infiltre directement vers les piliers enfouis sous-sol. Dans les étages supérieurs de la maison Meziani, les arcades sont également maintenues avec du bois blanc. En visitant la douéra, on découvre des faïences datant de plusieurs siècles. Elles restent fidèles aux murs. Elles sont d'un artisan almohade ou ottoman. «C'est un trésor cette maison. Mais les entrepreneurs en ont fait un vulgaire endroit», regrette le propriétaire des lieux. Un crime contre l'architecture ancienne Une tante de M. Meziani nous ouvre sa pièce personnelle. Elle insère une clé dans une porte centenaire en bois, majestueusement sculptée. Un chef-d'œuvre. A l'intérieur de la pièce, «un crime contre l'architecture ancienne», dit-elle. «Les fissures des murs ont été lissées avec du ciment, ce qui contribue à la corrosivité des parois», explique-t-elle. La voix fatiguée par les épreuves, la tante est scandalisée : «Ils ont commis un massacre. Que faut-il faire ? Cette maison est le legs de mon père. Je suis triste de vivre cette situation.» Amertume. En continuant la visite, le corps ressent l'humidité à chaque angle. En montant sur la terrasse, les carrés d'argile, appelés carreaux d'Aubagne, ont été décapés. La surface est nue, ce qui facilite la pénétration des eaux de pluie à l'intérieur des maisons. Seule consolation, la belle vue sur la mer, la pêcherie et l'amirauté. Mais le flou persiste. Où est donc passé l'argent ? Qui en a bénéficié ? Autant de questions qui restent sans réponses.