Le président de la fondation Casbah, M. Belkacem Babaci, est revenu dans cet entretien sur l'état de la Médina, classée patrimoine mondial par l'Unesco et protégée par des textes et une loi en Algérie. Il insiste pour dire que tout est resté en l'état, et le temps a fait le reste, les murs des bâtisses présentent actuellement des hernies (gonflements). Ce qui explique, selon lui, les quelques écroulements constatés. Liberté : La fondation commémore, jeudi, le 20e anniversaire du classement du patrimoine Casbah par l'Unesco, est-il possible de nous brosser un tableau plus ou moins exhaustif sur l'état physique de la citadelle d'Alger en 2012 ? BELKACEM BABACI : Que dois-je vous dire à ce propos ? La fondation commémore la date du 23 février, Journée nationale de la Casbah. En fait, la fête n'est pas notre dada, puisque “La danse du scalp n'est pas notre fort.” Cette journée permet de marquer une halte "officielle" pour constater l'état physique et autres de la médina d'Alger, de dresser un bilan et de tracer de nouvelles actions à mener dans un avenir proche. Le moins que l'on puisse dire à présent est tout simplement qu'il n'y a rien de changé depuis trois années. L'opération d'étaiement entreprise par l'Office de gestion des biens culturels, l'organe chargé des travaux, devait servir à parer aux éventuels effondrements qui ont d'ailleurs diminué. Mais, malheureusement, tout est resté en l'état, et le temps a fait le reste, la poussée des murs a fait que des madriers cèdent graduellement, les murs des bâtisses présentent actuellement des hernies (gonflements), ce qui explique les quelques écroulements constatés. Ajoutez à cela le phénomène des vols, notamment des madriers qui soutiennent les murs, par des voyous qui les revendent à ceux qui bricolent dans la réfection de leurs douirattes un peu partout. Faudra-t-il savoir que ce bois, aux caractéristiques physiques assez particulières, coûte très cher. Un montant de 60 milliards a été avancé pour faire face aux opérations d'urgence. Mieux encore, d'autres personnes enlèvent à dessein les madriers de soutènement pour accélérer l'effondrement de la maison et bénéficier, du coup, d'un logement. Le manque d'informations a évidemment créé un sentiment d'abandon chez les habitants de cette cité historique, "assiégé" par les gravats et autres ordures de toutes sortes. Pour l'instant, seuls les services de la wilaya opèrent sur le terrain. Pour parer à cette situation, la fondation Casbah a initié trois opérations de volontariat, sponsorisées par l'opérateur Mobilis. Des volontaires, sous la houlette de la fondation, ont pu évacuer, ainsi, plus de 2 000 sacs de gravats et d'ordures. Une autre action aussi importante avec Ness el-khir a été menée sur l'ilot Bourahla. Tout cela n'a pas suscité l'engouement escompté, et pourtant nous avons lancé des appels à travers les mosquées, notamment lors de la prière de vendredi. La seule réaction enregistrée était celle organisée par les jeunes de Sidi Bougdour et Djamaa Safir qui ont chaulé et nettoyé leurs ruelles. Une telle réaction nous réconforte et prouve que les enfants de la Casbah savent relever le défi. Quelles sont les actions menées jusque-là par la fondation pour parvenir à sensibiliser les pouvoirs publics sur la nécessité d'accélérer la restauration au risque que la situation ne s'empire d'avantage ? Nous sommes conscients que ce n'est pas une tâche aisée que de lancer des opérations de sauvetage des douirattes déjà en danger. C'est une véritable "chirurgie réparatrice" qu'il faudra engager, mais il faut le faire rapidement. Chaque jour que Dieu fait, un pan de mur s'écroule quelque part dans le tissu urbanistique de la Médina. C'est le cas des rues Bachara, Boudries, Smalla, pour ne citer que celles-là. Ce qui nous amène à dire que les "houmattes" présentent l'aspect de ville bombardée. La casbah est métastasée. Et les agressions du temps et des hommes progressent d'une manière effrénée ; pour vous dire, maintenant on se permet de construire des immeubles hideux de quatre étages en plein cœur de la Médina, vous vous rendez compte, dans une Casbah classée patrimoine mondial par l'Unesco et en “secteur sauvegardé” en Algérie, et protégée par des textes et une loi, avec un plan permanent de sauvegarde et tutti quanti ! Des choses inacceptables se déroulent sous nos yeux ! Et les pouvoirs publics aujourd'hui ? Cela étant, la fondation Casbah a clairement exprimé sa satisfaction devant toutes les actions à inscrire à l'actif des services du ministère de la Culture pour ne pas être traitée de Cassandre. En attendant, nous nous sommes tournés vers la proximité, c'est-à-dire vers les habitants et les jeunes surtout, en organisant des rencontres de sensibilisation en collaboration avec les services du ministère du Travail et celui de la Formation professionnelle, ainsi que du ministère de la Solidarité etc., en tentant de leur trouver du travail et de la formation. Par ailleurs, nous avons organisé des soirées chaabi dans certaines placettes pendant le mois de Ramadhan et au siège de l'association. Avec l'ouverture d'un café littéraire, nous avons organisé des conférences sur le vieux bâti et “Alger vu autrement”. Nous avons invité des experts en la matière pour animer des débats autour de la Médina. Toutes ces actions ont créé un raffermissement des contacts avec les citoyens afin d'éviter la colère et parer ainsi à d'éventuels désordres. Au passage, je vous signale que la DGSN nous a honorés, dernièrement, pour ce type d'actions. Prochainement, nous allons ouvrir un espace pour les enfants au sein de la fondation, une salle de lecture pour eux (sponsorisée toujours par Mobilis). Cette salle portera le nom de "petit Omar", en guise d'hommage au petit yacef, chahid, compagnon de Ali la Pointe, Hassiba Ben Bouali et Mahmoud Bouhamidi. Je pense qu'après la réhabilitation de Tlemcen, maintenant c'est autour de la Casbah. Par rapport aux mesures prises et aux actions menées du temps du gouvernorat du Grand Alger, où un organisme avait été créé et doté de toutes les prérogatives, ne trouvez-vous pas qu'il est désolant aujourd'hui qu'un tel patrimoine universel se trouve balloTté entre plusieurs tutelles? Justement, la grande erreur était de stopper brutalement les actions initiées par le gouvernorat du Grand Alger. À l'époque, un document intitulé Mécanismes et stratégies de sauvegarde de la Casbah d'Alger, comprenant plus de trois cents pages, a été établi par des architectes, des archéologues et des restaurateurs algériens, tels Lasbet, Khelifa, Mhari, Delhoum, Hamouche, Gaceb, Sahraoui, Gasmi, Boukacem, Wissam de Constantine et autres. Ce document de travail a été soumis alors à l'approbation de quinze experts de l'Unesco avec, à leur tête, M. Bouchenaki, Mme Mounira Baccar, M. Bechaouch, l'actuel ministre de la Culture tunisien, et d'autres, sous la dénomination de Focus groupe international que j'ai eu l'honneur de présider durant quinze jours et qui a abouti à la création d'une délégation pour la sauvegarde de la Casbah, en l'an 2000, avec rang de wali délégué pour l'exécution du contenu de ce document. Malheureusement, tout ce travail a été mis aux oubliettes par le wali remplaçant le gouverneur et la toute nouvelle ministre de la Culture, causant ainsi un retard de quatre années dans tous les domaines. Le projet du carrefour du Millénaire, qui devait relier la Casbah à la mer, avec un super complexe commercial et culturel sous les voûtes de la place des Martyrs, dirigé par M. Ouchen, l'actuel wali de Blida, fut également renvoyé aux calendes grecques. Cependant, M. Addou, l'actuel wali d'Alger, récupère graduellement le projet dans certains de ses aspects. Voila pourquoi, la situation de la Casbah demeure explosive. Des squatters permanents réoccupent les bâtisses évacuées, par l'ouverture de dortoirs un peu partout, accueillant une faune venue de toutes parts, avec la multiplication de toutes sortes de drogues détruisant nos enfants ; fort heureusement, les services de la DGSN occupent le terrain à travers la cellule d'écoute de la sûreté de daïra de BEO, mais est-ce suffisant ? Quelqu' un au ministère de la Culture avait dit : “Babaci est un infirmier qui se prend pour un médecin !” D'accord, mais quand le médecin ne fait rien c'est l'infirmier qui fait le travail du médecin, n'est-ce pas ? Pour mémoire, j'avais dirigé des opérations de restauration de 55 douirattes, 2 palais dans les règles de l'art, en collaboration avec des architectes et restaurateurs algériens connus et qui sont depuis marginalisés. On a appris que parallèlement aux activités de la fondation Casbah, un comité a été créé dans l'espoir d'une restitution du canon Baba Merzoug par la France, où en êtes-vous ? Le canon Baba Merzoug ayant défendu la Casbah, il est tout à fait normal de lui accorder notre attention. J'ai initié ce comité en 1999 avec l'accord des membres du bureau de la Fondation. L'objectif assigné étant la demande de restitution de cette pièce unique en son genre par la France. Le noyau constitué s'est attelé à la récolte de signatures, au début par centaines et à présent on en a atteint des milliers en Algérie seulement. Un noyau a été formé en France pour atteindre plus de 500 signatures, un autre a Montréal avec 220, un autre aux USA avec 55 signatures. Et tout dernièrement, un autre groupe a ouvert les listes toujours en France ; il faut dire que des amis français influents (des ministres, députés, intellectuels, cinéastes) plaident pour le retour de Baba Merzoug. La première personne à avoir répondu favorablement a été l'ancien président français Jacques Chirac. Ce comité est composé de Mme Zohra Drif, sénatrice, marraine de Baba Merzoug, M. Benamar Zerhouni, Mme Ighilahziz Louisa, Me Ali Haroun, Ali Mebtouche, Reda Amrani, Abdelhakim Meziani, Mohamed Ben Brahim, Abdallah Oussedik, Khaled Nezzar, pour ne citer que quelques uns, les autres sont les membres de la fondation. Beaucoup de jeunes et de citoyens. Et je tiens à confirmer aujourd'hui que personne n'a créé le comité en question en dehors des personnes suscitées, et personne n'a le droit de revendiquer la paternité du travail de longue haleine entrepris par ces milliers de soutiens. Le retour de Baba Merzoug est leur victoire et celle du peuple algérien. Ce canon a été construit chez nous par nous, il nous appartient et il est juste qu'il revienne là où il est né. Ce canon n'est plus une arme de guerre, il s'est tut en 1816. Il appartient à la société civile de le réclamer avec le soutien de notre gouvernement. Ceux qui prétendent ignorer l'appartenance de Baba Merzoug à l'Algérie veulent ramener le problème au niveau des Algériens ; je me demande pour qui roulent ces gens ? Nous faisons appel à la sagesse du gouvernement français. Avec la célébration des festivités du 50e anniversaire de l'Indépendance, il serait opportun, voire impératif pour la mémoire collective nationale de récupérer ce Canon qui veillait dans le temps sur Alger. H. H.