Allemagne, France, Mexique, Espagne, Brésil... La liste des pays soupçonnant la National Security Agency (NSA), un organisme du département américain de la Défense spécialisé dans le renseignement d'origine électromagnétique, de les espionner s'allonge de jour en jour. Le scandale prend une ampleur qui pourrait même devenir difficile à gérer pour la Maison-Blanche. Lisa Monaco, la conseillère de Barack Obama pour la sécurité intérieure, a d'ailleurs admis jeudi que depuis juin, ces révélations, émanant de l'ancien consultant de la NSA Edward Snowden – réfugié en Russie – et du journaliste Glenn Greenwald «ont créé des tensions considérables dans nos relations avec certains de nos partenaires étrangers les plus proches». Effectivement, les relations euro-américaines traversent probablement leur plus grave crise depuis la troisième guerre du Golfe qui a vu Paris et Washington diverger profondément sur le dossier irakien. L'Allemagne est, en tout cas, très remontée contre son allié américain à la suite des révélations sur la surveillance présumée du portable d'Angela Merkel par la NSA. Et elle ne se gêne pas pour le lui faire savoir. De son côté, le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, a prévu de convoquer aujourd'hui l'ambassadeur américain à Madrid pour lui demander des explications sur les écoutes présumées des autorités espagnoles. Pour faire en sorte que de telles pratiques ne se reproduisent pas, Berlin s'est ainsi engagée dans une offensive diplomatique. Une délégation allemande de haut rang, qui comprendra des membres des services secrets, doit ainsi se rendre cette semaine aux Etats-Unis pour obtenir des explications. «Des représentants de haut rang du gouvernement vont se rendre rapidement aux Etats-Unis afin d'avancer dans les discussions avec la Maison-Blanche et la NSA sur les allégations récemment évoquées», a déclaré, vendredi, le porte-parole adjoint de la chancelière, Georg Streiter. La NSA, une agence incontrôlable ? Selon des diplomates onusiens, l'Allemagne prépare également, conjointement avec le Brésil, une résolution à l'ONU sur la protection des libertés individuelles. Une ébauche de résolution devrait être soumise, vendredi prochain, à la commission des droits de l'homme de l'Assemblée générale des Nations unies. «L'espionnage entre amis, cela ne va pas du tout», avait affirmé Mme Merkel lors du sommet des dirigeants de l'UE, en fin de semaine à Bruxelles. Cette affaire d'espionnage a tellement fait de bruit qu'elle a été évoquée, à Bruxelles, au cours d'un entretien entre la chancelière allemande et le président français François Hollande. Les deux dirigeants ont affirmé «l'un comme l'autre le caractère inacceptable» des écoutes américaines, souhaitant que «l'on trouve les moyens d'en sortir». Les révélations sur l'ampleur des programmes de surveillance de la NSA – visant aussi bien des citoyens américains que des chefs d'Etat étrangers – suscitent bien évidemment des inquiétudes aux Etats-Unis sur la supervision d'une agence que certains croient devenue incontrôlable. Selon une note confidentielle citée par le quotidien britannique The Guardian, les agents de la NSA ont obtenu les coordonnées de ces 35 personnalités, qui ne sont pas nommées dans le document, grâce à un réseau de hauts responsables employés notamment à la Maison-Blanche, au département d'Etat ou encore au Pentagone, qui ont été «encouragés à partager leurs carnets d'adresses pour que l'agence puisse ajouter ces responsables politiques étrangers de premier plan à leur système de surveillance». Le document, qui date du 27 octobre 2006, a été diffusé à l'ensemble des membres du Signals Intelligence Directorate (SID), le bureau chargé du renseignement d'origine électromagnétique. Les libertés individuelles en péril La note, intitulée «Les contacts peuvent aider le SID à obtenir des numéros de téléphones dignes d'être ciblés», indique que les informations en question ont été obtenues grâce à la collaboration «d'un responsable américain», qui a fourni «200 numéros de téléphone de 35 leaders internationaux». Elle précise que ces coordonnées ont «permis d'accéder à des informations qui ont donné d'autres numéros intéressants, qui ont ensuite été sollicités».Contactée par The Guardian, la Maison-Blanche a refusé de commenter ces dernières informations. Un quotidien bavarois a évoqué, de son côté, le rôle ambigu de la France dans le cadre des activités de surveillance, affirmant que sous le nom de code «Lustre», les services de renseignement français ont signé un accord de collaboration avec ceux des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, du Canada, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Une chose est certaine : la colère née des révélations sur un possible espionnage du portable de la chancelière est loin d'être retombée en Allemagne qui s'interroge sur la confiance qu'elle a jusqu'ici accordée à Barack Obama. La colère de Berlin est grande d'autant que l'Allemagne abrite de nombreuses bases américaines. «Obama, sans scrupule ou dépassé (par les évènements)?», questionne le quotidien populaire Bild tandis que le conservateur Die Welt et le FAZ parlent d'un Obama «démythifié». Ceci dit, même si l'Allemagne multiplie les initiatives pour marquer son mécontentement à l'égard des pratiques de la NSA, la marge de manœuvre de la chancelière est plutôt limitée. Elle n'a pas, par exemple, emboîté le pas aux membres du Parti social démocrate (SPD) qui ont évoqué une pause dans les négociations sur l'accord de libre-échange entre l'UE et les Etats-Unis, craignant les conséquences d'un échec de ces discussions pour les intérêts économiques de l'Europe et de son pays. Bref, nous l'aurons compris, dans cette histoire, il risque d'y avoir beaucoup de bruit pour très peu de résultats. Car, dans le fond, tout le monde sait… que tout le monde espionne tout le monde et qu'il en sera ainsi encore longtemps. Le reste n'est que littérature ou affaire de sondages. C'est ce que vient d'ailleurs de rappeler Bernard Squarcini, l'ancien patron de la DCRI française, qui, au passage, s'étonne de la naïveté des médias… et des gouvernements.