La plage de Kharrouba, qui faisait la fierté des gens de Tigditt et qui s'enorgueillit d'être la seule plage familiale de la côte mostaganémoise, continue son inexorable descente aux enfers. Les anciennes familles de souche préfèrent aller voir ailleurs, notamment du côté du Cheliff. En effet, nombre de propriétaires de somptueuses résidences secondaires ont fait le choix de vendre ou d'abandonner ces lieux remplis de souvenirs. Depuis une quinzaine d'années, la situation n'a cessé de se dégrader. Malgré un léger soubresaut de la mairie de Mostaganem traduit par l'aménagement de la corniche, la concession pour l'ouverture de trois fast-foods de fortune et la remise en service de l'éclairage public, l'endroit est resté figé. Les habitués de cette plage jadis heureuse expliquent cette désaffection par l'absence d'eau potable, l'inexistence d'un réseau d'eaux usées fonctionnel et par l'obsolescence du réseau routier qui n'a pas reçu la moindre retouche depuis des lustres. Sur le sable d'une rare homogénéité, une bonne partie de la plage est littéralement occupée par une trentaine d'embarcations légères qui font vivre plus d'une centaine de familles. Profitant du fait que la partie nord de la minuscule crique soit protégée des vents d'est et d'ouest, les frêles embarcations ont rapidement vu leur nombre augmenter, au point de créer un véritable port de pêche artisanal sur une plage familiale. La criée sur le sable Si, durant la basse saison, le poisson y est très abordable, et les légères embarcations trouvent naturellement place sur le sable, il n'en est pas de même en été. En effet, la recherche d'un poisson frais et de bonne qualité fait drainer un bon nombre sans cesse croissant d'amateurs venus de toutes parts. Les captures sont négociées à même le sable et les affaires sont plutôt florissantes pour ces marins-pêcheurs aux visages burinés par les embruns. Ceux qui avaient pris ce pli de venir faire leur course en hiver ou au printemps, afin de ramener à la maison du poisson encore frémissant, déchanteront dès les premières chaleurs avec l'arrivée d'une clientèle plus nombreuse et moins regardante sur les prix pratiqués. Pour les petits mareyeurs, c'est une véritable aubaine. Car non seulement ils écouleront sans difficulté toutes les variétés de poissons, mais ils sont dispensés des longues processions jusqu'à la poissonnerie de la ville. Mais toute cette activité ne semble intéresser que ceux qui la pratique. Alors que le nombre de barques ne cessent d'augmenter, personne n'a vu venir le risque de voir la plage se transformer en véritable cale sèche. Et c'est ce spectacle d'amas de filets et de barques légères qui accueille tout estivant. Car le mode de pêche le plus couramment pratiqué ici est le filet à trois mailles appelé communément « trémaille. » D'une hauteur standard qui peut atteindre une brasse (longueur des deux bras étendus), il peut être allongé à souhait, atteignant parfois plusieurs centaines de mètres. Posé au fond de la mer, à la tombée de la nuit, il piége tous les poissons en circulation dont la taille est supérieure à celle de la maille centrale, assurant ainsi une sélection des prises et veillant à maintenir la biodiversité. De retour sur la terre ferme, les prises sont démaillées et proposées à la vente. Les filets sont alors débarrassés des projets intrus - algues, coquilles, crabes, bouts de bois ou coraux - et mis à sécher durant toute la journée. Mais l'exiguïté de la plage et l'absence de tout espace libre ne permettent plus aux marins pêcheurs d'étaler leurs filets et de faire procéder à la réparation des avaries, réduisant ainsi fortement la durée de vie de cet équipement. Pourtant et selon l'avis d'un habitué des lieux, la construction d'un quai sur la partie rocailleuse qui se prolonge vers l'ouest et qui sert d'abri naturel à la plage n'est pas qu'une simple vue de l'esprit. Elle permettrait d'obtenir, à moindre coup, un espace exclusivement réservé à cette flottille que le port en projet de Salamandre ne pourra pas accueillir. L'aménagement permettra de mettre en valeur ces rochers abrupts et offrira un terre-plein conséquent sur lequel les filets trouveront naturellement leur place pour sécher et recevoir les indispensables réparations. Un site néolithique Ainsi, la plage de Sidi Medjdoub, dont le mausolée trône sur le mamelon, renouera avec son activité séculaire. Celle tournée résolument vers la mer dont les habitants, depuis des temps immémoriaux, ce site néolithique étant parfaitement répertorié par les services de l'archéologie, ont toujours pratiqué et qui permet de maintenir une réelle activité aussi attractive que pittoresque. En conséquence, au lieu de se serrer sur le sable, au point de provoquer souvent des frictions, estivants et marins-pêcheurs pourront vivre en parfaite harmonie avec eux-mêmes et en respect de la nature généreuse qu'ils ont en partage. Peut-être que Kharrouba et Sidi Medjdoub se réconcilieront à jamais. Par la volonté des hommes et par la grâce d'un éco-développement mutuellement consenti.