Si le tapis d'Ath Hichem a gardé à ce jour son identité qui a dépassé les frontières nationales, c'est grâce à une dame ayant traversé son siècle d'une manière altière. Il s'agit de Nana Taous, de son vrai nom Taous Ben Abdesselam. Pour lui rendre hommage, le réalisateur Sid Ali Mazif a fait un film de 52 mn en 2005 intitulé Nana Taous. Il a été projeté mercredi dernier au centre culturel français (CCF) à Alger, en présence de la dame en question, invitée en la circonstance, et du réalisateur. Le film dresse le portrait et le parcours de plus d'un siècle de cette femme exceptionnelle. Y ont témoigné à l'occasion, ses proches et ses anciennes élèves. Sid Ali Mazif a donné aussi la parole à Nana Taous, personnage principal du film, tourné au village natal de celle-ci, à savoir Ath Hichem (Kabylie). De brèves séquences mettent en relief la dimension sociale et sociologique des motifs qui caractérisent le tapis d'Ath Hichem. Des motifs qu'on retrouve même dans la poterie kabyle et dont certains traduisent des messages : Quand une femme reçoit un ustensile ou un tapis de la part de sa fille mariée, elle sait à travers ces motifs si cette dernière est heureuse ou malheureuse. Le losange traduit le crabe, signe d'un porte-bonheur, le serpent signifie que la fille mène une vie difficile. Les traits en zigzag sont inspirés des feuilles du figuier. Les épis de blé constituent les prémices d'une saison féconde. Le tapis d'Ath Hichem date de plus de deux siècles. Il est inspiré d'un vêtement confectionné et agrémenté de symboles, tenu par des fibules en argent et porté par Ouardia Ath Ouabdesselam dite « Thaghobrith » le jour de son mariage. Ce vêtement a suscité beaucoup d'intérêt chez certaines femmes dont Abdesselam Malater qui finit par l'introduire à l'école et l'enrichir avec ses élèves. Notons que Taous Ben Abdesselam est née présumée en 1905 au village Ath Hichem à Aïn El Hammam en Kabylie. Elle est scolarisée en 1910 à l'école de son village construite en 1882. Elle obtient son certificat d'études en 1916 et se consacre à l'artisanat, dont la tapisserie. Elle gravit les échelons jusqu'à devenir enseignante de tissage. Dès le début de la guerre de libération nationale en 1954, elle s'engage dans la wilaya III. Elle perd son mari en 1957, tombé au champ d'honneur dans un accrochage avec les forces coloniales. Une année après, elle est arrêtée par des militaires français puis emprisonnée à la maison d'arrêt de Michelet, aujourd'hui Aïn El Hammam, où elle retrouve son fil Makhlouf. Torturée, elle est expulsée vers Alger, puis s'établit chez son fils aîné Idir et renoue contact avec le FLN. Après l'indépendance, elle reprend ses activités à l'école d'Ath Hichem pour être mutée le 1er octobre au village voisin Ouaghzène en qualité de monitrice de l'artisanat. En 1965, elle participe à la foire internationale de Paris où elle représente l'Algérie derrière son métier à tisser. Elle passe avec succès en 1970, l'examen de sa titularisation, organisé par le ministère de l'Industrie et de l'Energie. Nommée directrice du centre technique de la région le 1er novembre 1974, elle y exerça jusqu'à sa retraite en 1989 à l'âge de 84 ans. Elle continue, à ce jour, de savourer sa retraite dans la lucidité. Elle lit son journal et fait sa promenade quotidienne, tout en continuant à faire profiter de son expérience les jeunes artisans qui la considèrent comme la gardienne des valeurs ancestrales.