Le Dialogue national en Tunisie s'est donné 36 heures de prolongations pour trouver un nouveau chef de gouvernement. Tunis De notre correspondant Le nouveau deadline expire aujourd'hui en cours de journée. Une véritable épreuve de force est déclenchée. «Ce sera ou Mohamed Ennaceur ou Ahmed Mestiri, ou quelqu'un d'autre qui soit en mesure de faire l'unanimité autour de lui», a précisé le porte-parole du Dialogue national, Hassine Abbassi. Une question se pose d'elle-même sur la volonté réelle des islamistes d'Ennahdha de lâcher le pouvoir. C'est tout l'avenir du Dialogue national en Tunisie qui est actuellement en jeu derrière ce bras de fer pour le choix du futur chef du gouvernement. Il ne s'agit pas en effet de choisir entre Mohamed Ennaceur et Ahmed Mestiri, mais, plutôt, de mesurer la capacité de la classe politique tunisienne à trouver des compromis viables et, par conséquent, de donner un signal convaincant à la population et aux partenaires de la Tunisie concernant l'efficacité de ce processus en cours. Il est utile de souligner que le début des débats au sein de la commission du parcours gouvernemental était prometteur. Des éliminations successives d'une quinzaine de candidats ont été effectuées selon des critères établis par l'Assemblée générale des partis politiques présents. La situation s'est compliquée lorsqu'il a été question, mercredi soir, d'éliminer Ahmed Mestiri en raison du «manque de dynamisme, alors que le poste de chef du gouvernement nécessite des journées de travail de 16 heures», comme le soulignent des sources du Front populaire. «Il n'y a pas lieu de faire des comparaisons avec Béji Caïd Essebsi, car la situation de mars 2011 n'est pas celle de novembre 2013», poursuivent les mêmes sources. «En 2011, les élections se présentaient dans une ambiance festive, alors qu'aujourd'hui, c'est une situation de pleine crise, sans parler de la lutte contre le terrorisme», précisent les mêmes sources. Or, ce n'est pas l'avis des islamistes d'Ennahdha. D'où le blocage. La vision d'Ennahdha En effet, après une vingtaine d'heures de débats, vendredi et samedi, Rached Ghannouchi n'a proposé en concession qu'Ahmed Mestiri comme chef de gouvernement, Mohamed Ennaceur comme adjoint chargé du dossier sécuritaire et Jalloul Ayed comme adjoint chargé du dossier économique. Il a refusé la proposition de nommer Ahmed Mestiri à la fonction de conseiller principal auprès de Mohamed Ennaceur. C'était la plus diplomatique des propositions en provenance d'Ennahdha. Une pareille proposition a été déjà avancée par Ennahdha en août dernier, juste après la première rencontre entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi à Paris. Elle consistait alors à placer un nahdhaoui au poste de chef de gouvernement et deux personnalités de l'opposition pour l'assister. Le nahdhaoui d'aujourd'hui, c'est Ahmed Mestiri. Les deux autres personnalités sont plutôt indépendantes. Nous ne sommes donc pas sortis de l'auberge. C'est certes mieux que les propos de l'ex-chef de gouvernement, Hamadi Jebali, qui dit : «Mestiri ou personne !» Le pire, c'est qu'Ennahdha et Ettakatol parlent de porter le différend à l'ANC pour arbitrage, ce qui signifie un dérapage par rapport à la légitimité consensuelle dans le cadre du Dialogue national, promise lors de la dernière interview de Rached Ghannouchi, écartant de facto le pouvoir incontournable de l'ANC. Or, selon les échos parvenant du Dialogue national, la mission du futur gouvernement ne serait pas encore définie. Attributions et questions Si l'on se réfère à la feuille de route du quartette, le prochain gouvernement aura des prérogatives complètes dans son exercice du pouvoir. Il va exercer selon un programme établi par le Dialogue national et validé par l'ANC. Sa mission consiste, certes, à préparer les échéances électorales. Mais il va exercer toutes les prérogatives de gouvernance, comme les destitutions et les nominations. Lesdits pouvoirs complets ont été confirmés dans les propos de Rached Ghannouchi et Ali Laârayedh, en rapport avec ledit gouvernement. Mais au fur et à mesure que l'on avance dans la réalisation de ce gouvernement, ses tâches se réduisent. «Pourquoi exige-t-on un tel dynamisme de la part du chef du gouvernement, alors qu'il n'aura qu'à appliquer les programmes qui lui sont transmis ?», auraient dit avant-hier les représentants d'Ennahdha pour défendre la candidature de Mestiri. Hamma Hammami leur aurait répliqué que «le prochain gouvernement aura les mêmes attributions que les précédents. Du coup, son chef devra répondre aux mêmes critères de compétences et de dynamisme». Une telle polémique renvoie sur la dénomination «gouvernement d'élections», utilisée par Ennahdha à un certain moment, en parlant de ce prochain gouvernement. Une telle nomination pourrait insinuer des limitations dans ses prérogatives et il s'agirait, essentiellement, des destitutions et des nominations. Certaines rumeurs parlent du désir d'Ennahdha de garder les ministres de la Justice et des Affaires étrangères, ainsi que l'attachement des islamistes à ne pas revenir sur les nominations des hauts cadres des ministères de l'Intérieur et de la Justice. Le bras de fer sur la nomination d'Ahmed Mestiri ou de Mohamed Ennaceur cache donc une lutte entre deux possibles scénarios de gouvernance. Alors que Mestiri pourrait se limiter à une tâche restreinte strictement aux échéanciers électoraux, Ennaceur pourrait chercher à assumer complètement son rôle de tête de l'Exécutif. D'où les réserves d'Ennahdha qui veut lâcher la chaise du chef de gouvernement, tout en gardant le pouvoir. Le quartette parviendra-t-il à sauver sa feuille de route ?