Parce qu'il avait bénéficié de mesures gouvernementales destinées à protéger la production locale de médicaments, le secteur de l'industrie pharmaceutique a réussi à opérer, en à peine dix années, un redressement spectaculaire. Il est aujourd'hui le secteur où l'on investit le plus dans la promotion de nouveaux moyens de production. Les grands groupes pharmaceutiques internationaux sont nombreux à convoiter le marché algérien, non pas pour y écouler leurs produits, mais pour en fabriquer sur place. A lui seul, le site de Sidi Abdellah se prépare à accueillir une dizaine de complexes pharmaceutiques dont certains sont déjà opérationnels ou en chantier. Il faut dire que l'industrie du médicament qui a fait son apparition dès le début des années 1990 a très tôt bénéficié de mesures de régulation qui l'ont rapidement mise sur rail. On citera le cas d'un article de la loi sur la Monnaie et le Crédit de 1990 qui fait expressément obligation aux importateurs de produits pharmaceutiques d'investir dès la troisième année d'exercice dans la production locale de médicaments. C'est ainsi qu'une trentaine d'importateurs ont dû se lancer avec l'aide multiforme de laboratoires pharmaceutiques internationaux, dans la production de médicaments génériques qui couvre aujourd'hui une part non négligeable de la demande nationale. Un moment perturbé par une décision gouvernementale intempestive prise en 2003 à l'effet de mettre fin à la protection de la production nationale et à l'obligation d'investir dans la fabrication locale de médicament, l'industrie nationale du médicament n'a commencé à reprendre des couleurs qu'à partir de 2008 à la faveur de l'abrogation de cette maladroite directive et l'instauration de mesures de protection concernant environ 130 médicaments fabriqués en Algérie. Nouvellement élu à la présidence de l'Union nationale des opérateurs en pharmacie (UNOP) qui regroupe une trentaine d'entreprises, Abdelouahed Kerrar nous apprend que grâce à ces mesures de régulation «la valeur de la production nationale de médicaments qui atteint aujourd'hui le milliard de dollars a été multipliée par 10 au cours de ces dix dernières années. L'Algérie est ainsi parvenue à produire plus que le Maroc et la Tunisie». Il n'y a pas d'effets sans causes, tient-il à préciser, en nous informant que la production pharmaceutique est la seule activité industrielle à avoir été soumise dès le départ à un cahier des charges rigoureux, établissant un lien direct entre la libéralisation de l'importation de médicaments et l'obligation d'investir à terme dans leur fabrication, avec en contrepartie l'interdiction d'importation des médicaments fabriqués localement. Le président de l'UNOP demeure convaincu que cette mesure de régulation qui a, comme l'attestent les bilans chiffrés, porté ses fruits pourrait servir d'exemple à d'autres secteurs ou filières industrielles actuellement en crise par défaut de protection contre les importations qui concurrencent leurs produits et les dissuadent d'augmenter leurs capacités de production. Il est, affirme-t-il, persuadé que l'expérience du secteur pharmaceutique national pourrait être une source d'inspiration pour d'autres secteurs d'activité économiques, étant convaincu que «l'établissement d'une liaison claire entre régulation des importations et satisfaction des besoins nationaux constitue un puissant levier pour stimuler l'investissement et accroître, en conséquence, la production locale». Fort de sa longue expérience dans le domaine très complexe du médicament, Abdelouahed Kerrar nous affirme, non sans conviction, que «cette démarche offre un bon compromis entre l'actuelle libéralisation commerciale débridée qui étouffe dans l'œuf tout projet de développement de la production locale, et les tentations malsaines et contreproductives de retour au verrouillage bureaucratique de l'importation». Il ajoute à juste raison qu'«une garantie de marché est la plus significative des incitations à l'investissement car elle vaut largement mieux que toutes les autres mesures de soutien, y compris celles des exonérations fiscales. Cela vaut, y compris pour les investisseurs étrangers pour lesquels ce type de mesure serait un signal fort». Ayant cherché à avoir l'avis sur une possible extrapolation de cet heureux exemple de redressement industriel au moyen de la régulation, nous avons interrogé le patron de la société Dékorex-Novoplast, une entreprise activant dans l'industrie plastique (emballages, produits parapharmaceutiques et d'entretien). Considéré comme l'un des plus anciens industriels algériens, Larbi Ouahmed est d'emblée acquis à cette forme de régulation sous forme de protection, conditionnée par l'exigence d'efforts supplémentaires d'industrialisation que l'Etat est en droit d'exiger de tous les entrepreneurs ayant bénéficié d'une telle mesure. Il précise toutefois que les entreprises des autres filières industrielles ont le désavantage d'être moins bien organisées que celles du médicament techniquement bien accompagnées par les laboratoires pharmaceutiques internationaux et dont la qualité des produits est acquise dès lors qu'elle reçoit l'agrément du ministère de la Santé. «Les autres filières industrielles mises à rude épreuve par une ouverture commerciale débridée, un climat des affaires délétère et une constante instabilité juridique n'ont, malheureusement, jamais eu le temps de mieux s'organiser, de lancer de nouvelles lignes de production ou tout simplement de mettre à niveau leurs équipements de production qui ont fini par vieillir et, souvent même, par être déclassés», tient-il à souligner. Le marché informel, l'importation de produits contrefaits, les maladresses des banques et la généralisation du Credoc auraient, selon ses estimations, causé la fermeture d'environ 40 000 entreprises de production tout au long de ces 5 dernières années et la casse serait en train de se poursuivre, nous apprend, quelque peu dépité, notre interlocuteur. Bien qu'arrivant un peu tard, estime-t-il, la mesure de protection de nos marchés locaux est certes bonne en soi, mais elle n'a de chance d'atteindre le résultat escompté que si elle est accompagnée de tout un train de mesures visant à valoriser l'acte de produire en assurant notamment le fonctionnement optimal des unités de production et, bien entendu, la protection de leurs marchés contre toutes formes de concurrence déloyale. Outre la protection de nos marchés locaux, Larbi Ouahmed souhaiterait en outre que «l'Etat assiste du mieux possible les fort nombreuses entreprises algériennes sérieusement ébranlées par les mesures législatives et réglementaires inappropriées qui leur furent imposées fréquemment, notamment durant ces 5 dernières années. L'Etat, est-il convaincu, devrait assumer à titre de réparation de préjudices subis, ne serait-ce qu'une part de leurs passifs.»