Anouar Benmalek a appelé à plus d'audace de la part des écrivains, alors que Abdelkader Djemaï a estimé que l'écriture est parfois liée au hasard. Les romanciers algériens, Anouar Benmalek et Abdelkader Djemaï, se sont retrouvés dimanche à l'espace littérature au pavillon central du Palais des expositions des Pins maritimes au 18e Salon international du livre d'Alger (SILA) pour évoquer l'amour et le voyage en littérature. «Tout romancier rêve d'écrire une histoire d'amour. Je me dis toujours que je suis un auteur de love story, mais j'ai le malheur de vivre dans des pays où l'histoire est tragiquement présente», a confié Anouar Benmalek. Il a cité l'exemple de son roman L'amour-loup (sorti en 2002), dont l'histoire se déroule à Beyrouth et à Damas. Une histoire d'amour. «C'est un livre qui évoque la tragédie aussi. Le sentiment de désespoir qu'on avait pour le Moyen-Orient était fort déjà. L'histoire du roman se termine mal, mais beaucoup moins mal que dans la réalité d'aujourd'hui», a-t-il relevé. L'amour- loup narre l'histoire de Chaïbane, un étudiant algérien, qui rencontre à Moscou Nawal, une étudiante palestinienne. Anouar Benmalek a fait le parallèle avec la situation politique et militaire dramatique de la Syrie d'aujourd'hui. «Avoir le choix entre un dictateur ou des fanatiques armés. Le monde arabe est-il condamné à ce malheur ? Sommes-nous condamnés à nous détruire les uns après les autres ? Il est terrible de constater que la belle, la grande mosquée de Damas, soit touchée par les bombardements», a-t-il affirmé. Selon l'auteur de Le Rapt, les Algériens n'ont pas assez parlé de leur histoire. Il a cité l'exemple de l'Emir Abdelakder, «personnage complexe et extraordinaire», qui a été ignoré par le cinéma algérien. «Si nous ne sommes pas capables de raconter l'histoire de l'Emir Abdelkader, c'est que nous ne le méritons pas. L'Emir a été réduit à être le fondateur de l'Etat algérien moderne. Mais il n'est pas que cela», a-t-il regretté, citant également l'exemple d'El Mokrani et Ben M'hidi. Abdelkader Djemaï, qui vient de publier chez Barzakh La dernière nuit de l'Emir, a, pour sa part, parlé de la perpétuelle errance de l'Emir Abdelkader. Dans ce roman, Abdelkader Djemaï revient sur le départ en exil de l'Emir Abdelkader en décembre 1847 et évoque sa smala qui était composée de 20 000 personnes. «C'est un immense western, plus puissant que les films de John Ford ! Il y a l'épopée, la fantasia, l'amour. Ce n'était pas un voyage semé de pétales de roses. L'Emir Abdelkader n'était pas uniquement un guerrier. Il était un homme d'une dimension universelle, poète, philosophe, un être qui a réalisé son destin», a-t-il souligné. Il a rappelé que l'Emir avait mené un combat contre l'ignorance et l'injustice. écrits spirituels de l'émir abdelkader Selon lui, il y a encore des choses à raconter sur l'itinéraire politique, militaire et intellectuel de l'auteur de Ecrits spirituels. «Les livres écrits sur l'Emir ont été l'œuvre d'historiens. J'ai voulu aborder sa vie à travers la littérature. Dans le livre, La dernière nuit de l'Emir, j'évoque le voyage avec 96 personnes après la défaite. Avec lui, il y avait des blessés, des vieux, des enfants… Beaucoup d'entre eux n'avaient jamais vu la mer. Ils allaient la voir à Ghazaouet. J'ai fait beaucoup de recherches, notamment au Musée de la marine de Rochefort (France) où j'ai trouvé dans des cahiers de bord les noms, les prénoms et l'âge de tous ceux qui avaient accompagné l'Emir Abdelkader dans son voyage. J'ai failli m'évanouir en voyant cela. Je me suis dit : là, je peux écrire sur l'Emir Abdelkader», a souligné Abdelkader Djemaï, indiquant explorer la valeur «espace» que suggère l'homme d'Etat algérien dans l'écriture littéraire. Durant sa campagne contre les occupants français, l'Emir Abdelkader s'était beaucoup déplacé avec sa smala entre plaines et montagnes «L'écriture est une aventure. L'écriture, c'est l'imprévisible, le hasard, l'intuition», a soutenu le romancier. Pour Anouar Benmalek, le romancier a tous les droits. «Le romancier n'est pas historien. Il a le droit de tordre la réalité. Je peux écrire sur l'Emir en inventant des histoires», a-t-il indiqué. Il a reconnu avoir pris des précautions dans l'écriture du roman Le rapt où il évoque le massacre de Melouza (commis par le FLN en 1957 contre un village soutenant le MNA). «J'ai pris soin de tout vérifier pour que les révisionnistes, ceux qui nient l'existence de ce massacre, ne puissent pas dire que ce n'est pas vrai. Après la sortie du roman en Algérie, personne n'est allé avoir l'avis des rescapés de ce massarce. Il y a encore plein de tabous en Algérie. Il y a un agent de la SM (Sécurité militaire) qui est dans notre tête», a-t-il noté. Selon lui, les Algériens ont été privés de vérités et de fantaisie. «Le problème en Algérie n'est pas la censure, mais c'est celui de ne pas donner d'occasion à cette censure de travailler», a remarqué Anouar Benmalek, appelant à plus d'audace de la part de ceux qui écrivent.