Après le Festival international de la littérature et du roman africain, voilà que certains d'entre eux reviennent en Algérie... La veille du colloque portant sur la littérature africaine, la librairie Chihab International a accueilli mardi dernier une brochette d'éminents écrivains africains, des auteurs partageant en ce moment une résidence d'écriture, «pas du tout surveillée», nous assure-t-on, près de Zéralda. Cette activité, première du genre, entre dans le cadre du deuxième Festival culturel panafricain. En conclave depuis le début de la manifestation donc et, jusqu'à la fin du Panaf, ce sont 11 auteurs qui sont invités à écrire sur la ville d'Alger en s'inspirant de leurs sentiments, personnel de leurs rencontres et événements culturels auxquels ils auront assisté pour rédiger une nouvelle. A l'issue de cette résidence, chapeautée par Karim Cheikh des éditions Apic, un recueil de nouvelles sera publié. «Il s'agit effectivement de solliciter notre liberté pour effectuer un texte non commandé mais inspiré et alimenté de tout ce qu'on a vu récemment. Pour ce faire, nous avons visité des musés, des librairies etc.», dira Eugène Ebodé, l'auteur notamment de la trilogie (La Transmission, éd. Gallimard, 2002, La Divine colère, éd. Gallimard, 2004 et Silikani, éd. Gallimard, 2006). Animée par Rachid Mokhtari, cette rencontre littéraire nous a permis de faire connaissance avec 11 auteurs de talent mais dont l'écriture reste hélas méconnue en Algérie. Aussi un tour d'horizon un peu rébarbatif certes, mais combien enrichissant nous a permis de faire plus ou moins connaissance avec l'univers de ces auteurs, leur vécu et l'intérêt qu'ils portent à la littérature. Le premier interrogé a été le Haïtien Louis-Philippe Dalembert, qui donnera un aperçu sur la littérature de son pays. «Il n'est plus besoin urgent d'être un écrivain engagé. On arrive à vivre notre individualité avec sérénité.» Le Renaudot 2006, Alain Mabanckou, parlera de son expérience et de ses influences littéraires. «Je suis né en Afrique, j'ai étudié en France et vis aujourd'hui aux USA. Il est donc impossible pour moi de voir la littérature seulement d'un point de vue africain! Les écrivains sont avant tout des lecteurs qui reçoivent. C'est une palpitation qui échoue un jour sur l'écrit. Nous recherchons à travers la littérature le souffle qui nous permettra d'exprimer le monde. C'est une quête de l'enfance...» Evoquant son parcours et sa trilogie littéraire qui est éloignée de son vécu notamment de footballeur (dans le 2e roman), Eugène Ebaudé (critique littéraire), aussi in le Courrier de Genève dira pour sa part que la littérature sert à jeter des passerelles. «C'est une corde qui tend vers le sublime. Elle témoigne de beaucoup de frustration et de souffrance de l'individu, ces choses que j'ai vécues..» Yahia Belaski, critique littéraire également et écrivaine, évoquera de son côté la notion de peur dans son roman Le Bus dans la ville, pour traduire la peur des gens de leur passé, et donc de leur avenir. «Je voulais restituer ces morsures de la vie qui empêchent les gens de vivre. Je convoque dans mon ouvrage Kateb Yacine, Jean Sénac et d'autres...Aussi, parler du beau sur cette terre, cette ville qui s'écrase et meurt...» Gabriel Okoundji du Congo, poète, évoque, quant à lui, l'importance de l'oralité comme un bien précieux qu'il ne faut pas gaspiller, dont la parole poétique. Il cite ses influences, Lautréamont notamment et la littérature japonaise. «J'ai choisi d'explorer la parole de ces gens sur la terre africaine et donner à entendre à l'autre ces influences. La poésie sert à guérir par les mots». Et de citer encore Mohamed Dib, Benguittoun, etc. «La culture africaine est basée sur des symboles», dira-t-il. Samy Tchak, sociologie et écrivain, concis, révélera d'emblée: «Je suis fier de ce que j'ai lu. Ecrire c'est une tentative d'honorer les livres que j'ai lus.» Pour rappel, Samy Tchak fait partie des rares écrivains africains édités en Algérie. Ses romans sont disponibles aux éditions Apic, dans la collection ´´Résonances´´. Arrive le tour de Anouar Benmalek de parler de son actualité littérature. Brusquement, le sourire s'efface pour laisser place à la sévérité dans le regard et l'amertume. Inspiré d'un fait divers poignant, l'assassinat du petit garçon, Yacine, Anouar Benmalek évoque son prochain livre tout en affirmant son désir de faire un roman de fiction avant tout, et pas de livre politique. Il témoigne: «Après l'accueil blessant de mon livre Ô Maria, j'ai juré de ne plus écrire sur l'Algérie, mais j'ai réalisé que je ne pouvais écrire que sur les choses que je connaissais le mieux. Personne n'a bougé le petit doigt pour ce petit garçon car il était de famille pauvre. Il n'avait pas de valeur sociale. C'est symptomatique de ce que nous vivons.» Et d'ajouter: «J'ai construit mon prochain livre Rapt, (il sortira en septembre chez Fayard, Ndlr), sur une histoire qui se déroule au présent, mais qui fait appel au passé pour expliquer certaines violences, et ce, partant de la guerre de Libération. Il a eu des moments indignes qu'il faudra dénoncer: la torture, Melouza...Cette amnésie est devenue circonstancielle chez nous. On passe notre temps à amnistier. Ce n'est qu'en devenant adultes qu'on pourra recouvrer notre mémoire. J'ai voulu faire un livre grave ceci dit non sans être dénué d'humour sarcastique..» Tanella Boni de la Côte d'Ivoire, poète, essayiste, romancière et philosophe a droit pour sa part à la fameuse question clichée: «Existe-t-il une littérature féminine?» A cela, elle répondra en invoquant son sentiment d'«invisibilité». Je suis de nulle part. Ce qui m'intéresse est de défendre les relations humaines. Peut-être qu'il existe une littérature féminine, ou peut-être que non. Je fais partie de ceux qu'on appelle les invisibles. Quand je suis là, on ne me voit pas comme un écrivain mais comme une femme...Pour le Marocain Kébir Ammi, écrire sur saint Augustin, l'Emir Abdelkader ou Hallaj, c'est interroger le temps, l'espace et la pensée de chacun d'entre eux. «Pour moi, l'Emir Abdelkder c'est d'abord l'écrivain qui m'intéresse, cette vie-là d'écriture a été la plus longue, se pencher sur son passé c'est parler de sa pensée fondée sur l'altérité», dira-t-il. Habité par l'artiste-peintre Geurmaz, Hamid Skif confie avec passion son projet de biographie sur la personne de ce peintre méconnu des Algériens et dont les oeuvres pourtant ornent les cimaises des galeries à l'étranger. «Ses oeuvres sont estimées entre 450 et 500 tableaux; or l'Algérie ne possède que 11 toiles. Le livre s'appellera "Enquête sur un peintre disparu." J'essayerai de restituer la mémoire algérienne de ce peintre qui appartient à la culture universelle.»