Photo : M. Hacène Par Billal Larbi Alger, la ville symbole d'une société qui a su résister pendant 130 ans au colonialisme, sauvegardant sa propre personnalité, se trouve aujourd'hui confrontée à une crise du logement sans précédent. Cette dernière, exacerbée par une peu reluisante situation du patrimoine immobilier (lequel doit être rénové et réhabilité dans les plus brefs délais) influe sur de nombreux pans de la société. Le vieillissement du patrimoine immobilier de la capitale est une réalité indéniable. Déclarés insalubres par les experts du CTC, de nombreux espaces à Alger devront être restaurés. Le vieux bâti et les HLM offrent, de nos jours, un spectacle des plus désolants. La plupart des immeubles de la métropole algéroise sont dans un état de délabrement avancé. Cet état de fait est surtout dû à la vétusté avérée de ces bâtisses. Cela est vérifiable dans beaucoup d'endroits à Alger. A la veille de l'indépendance, la population d'Alger était approximativement de l'ordre de 400 000 habitants. Aujourd'hui, elle avoisine les 4 millions d'habitants, ce qui donne une idée de la complexité de la tâche en matière de construction de logements. La mainmise sur la ville d'Alger en 1830 par un pouvoir colonial, à la culture et aux intérêts différents, a marqué l'arrêt de l'évolution propre de la ville musulmane. Les modifications et transformations qu'elle va subir seront autant de ruptures brutales et ce, jusqu'au début du XXe siècle, lorsque les investisseurs opteront presque exclusivement pour de nouvelles extensions. Commence alors le long processus de dégradation, un phénomène qui se traduira, notamment, par un surpeuplement et une ségrégation sociale des plus manifestes. Une fois que le pays eut recouvert sa liberté, le premier gouvernement de l'époque n'a pas, pour des considérations qu'il a jugées objectives, adopté une politique de construction d'habitations dans la capitale. Sa préoccupation première allait vers les villages ruraux détruits par la guerre. Ces derniers devaient à tout prix être rebâtis. Pour les grandes villes du pays, dont, bien sûr, la capitale, l'écrasante majorité des citoyens vivaient dans les habitations construites dans les cités d'urgence, des cités destinées aux «indigènes», construites dans la hâte du temps de la période coloniale dans le cadre du fameux plan de Constantine. Théoriquement, et aux yeux des Français, ce dernier est un programme économique, social et culturel en faveur des Algériens. Mais, pour ces derniers, ce plan ne visait qu'à contrer l'influence et la puissance de la résistance au sein de la population algérienne qui était, à l'époque, dans une situation de grande discrimination sociale en comparaison des colons européens. En d'autres termes, les Algériens n'y voyaient qu'un projet colonial visant à faire échouer la révolution, éloigner d'elle le peuple algérien, couper celui-ci de la base de l'Armée de libération nationale et le convaincre de la nécessité de son intégration à la France. Dans la foulée, on a assisté à la naissance de plusieurs cités telles que Diar El Afia (Les Annassers), Diar Echems, El Bahia (Kouba). Beaucoup de ces cités ont été réalisées dans l'urgence au profit des populations locales. La création en 1977 du ministère de l'Habitat a abouti, pour la première fois en Algérie, à la reconnaissance du droit au citoyen d'avoir un logement conformément aux orientations de la Charte nationale de l'année d'avant (1976). En 1984, le plan d'urbanisme directeur (PUD) élaboré à cette époque, a opéré la reconversion des terrains agricoles en des lots de construction. Des observateurs avertis affirment que le PUD a permis toutes sortes de déviations ainsi que l'accaparement des terrains. Selon eux, les autorités ont du mal à mettre en place une politique censée organiser le cadre de vie et non pas uniquement assurer le gîte. Pour eux, les aspects gestion, entretien et confort sont totalement exclus de la démarche des autorités. Inutile de dire que, dans ces cités, la dégradation du bâti a pris des proportions alarmantes. Par endroits, deux, voire trois familles vivent dans des réduits. Chacune d'elles est confinée dans un espace d'habitation ne dépassant pas quelques mètres carrés. Dans pareils endroits, la sécurité est un vain mot. Toute personne étrangère est mitraillée du regard. La nuit, il est quasiment impossible de traverser ces lieux tant les risques de faire l'objet d'une agression sont très grands. C'est le cas de Diar Echems, une cité qui aura, ces derniers temps, défrayé la chronique par les émeutes qui s'y sont déroulées. D'aucuns ignorent (ou feignent d'ignorer) que cette cité était, durant les années 1980, destinée aux étudiants. A présent, elle abrite des familles, venant de l'intérieur du pays, dans des appartements de type F1. C'est dans ce quartier que nous avons rencontré Halim, un jeune qui vit à Diar Echems depuis qu'il y est né il y a 25 ans. «Nous vivons dans des conditions lamentables. Une misère totale. Le minimum d'hygiène est inexistant. Nous sommes plusieurs familles à partager un appartement, une pièce-cuisine. En dépit de nos nombreuses tentatives, nous n'avons pu bénéficier d'un logement décent.» Il y eut un silence de la part de notre interlocuteur avant que ce dernier n'enchaîne : «Venez avec moi, venez voir où nous vivons. Des conditions inqualifiables. Et dire que nous ne nous trouvons pas dans n'importe quelle ville d'Algérie mais dans la capitale», soupire-t-il. Lorsque nous balayons du regard l'endroit, le spectacle qui s'offre à nous est, en effet, des plus hideux : des dizaines de constructions de fortune collées les unes aux autres. Mettre les pieds à l'intérieur d'une pièce renseigne de manière on ne peut plus édifiante sur la situation de précarité dans laquelle vivent les habitants. Les murs sont lézardés et le parterre gondolé. Habiter dans pareil endroit expose à plus d'un risque. Pour atténuer la promiscuité, beaucoup d'occupants ont choisi de faire des «extensions» comme ils le peuvent. Depuis la fin des années 1950, des centaines, voire des milliers de familles vivent dans ces quartiers-favelas attendant que leurs conditions de vie soient améliorées. Les plus pessimistes sont convaincus que leur vie ne changera pas d'un iota et qu'ils sont condamnés à vivre éternellement de la sorte. Lors des dernières émeutes qu'a connues Diar Echems, Nouredine Yazid Zerhouni, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, rappellera que ce quartier devait bénéficier, par le passé, d'un programme de réhabilitation semblable à celui dont ont bénéficié les habitants de Diar El Kef, au lendemain des inondations de Bab El Oued. Selon le ministre, une partie des habitants avait, dans un premier temps, refusé cette option avant de changer d'avis, exprimant leur accord pour cette option. A la cité Diar El Kef, réalisée à la fin des années 1950 par les architectes Daure et Berry, le même constat peut être fait. Initialement destinée au recasement des populations locales, cette dernière a joué le rôle de centre de transit pour les sans-logis de manière temporaire. Certaines cellules n'excèdent pas treize mètres carrés, dans une pièce, une loggia avec un évier, sans toilettes ni cuisine. C'est dans ce décor qu'ont évolué depuis l'indépendance des centaines de familles algériennes. Au lendemain de l'indépendance, les quatre immeubles de la cité populeuse offrent un décor des plus repoussants. A cause de la promiscuité, les gens n'hésitent pas à construire sur la terrasse et aux abords des immeubles. La grogne et la colère ont toujours été présentes au sein de la population. Mais, c'est au lendemain des inondations du 10 novembre 2001 (Bab El Oued) que le paroxysme de l'indignation et du ras-le-bol a été atteint. Les autorités locales ont été interpellées pour prendre en charge leurs doléances. «Des familles sont, telles des souris, tassées dans des réduits de 13 m2. Depuis bien longtemps, elles vivent dans des conditions lamentables. Elles attendent patiemment qu'elles soient relogées ou que leur espace d'habitation soit requalifié. Dans ces conditions, ne vous étonnez pas si elles empiètent sur l'espace commun», nous dira un septuagénaire ayant habité Diar Echems et qui dit avoir bénéficié d'un logement à Drarïa. Selon notre interlocuteur, le dernier Ramadhan passé par les habitants était des plus difficiles à cause du manque d'eau. Les gens allaient dans tous les sens dans le but de remplir un jerrican ou un sceau d'eau. Dans ce cadre, la mosquée constituait leur point de mire. «Certaines familles n'ont pas payé leur facture d'eau depuis de nombreuses années», affirmera notre interlocuteur. En 2001, un programme d'action a été mis en place pour mettre en branle l'opération de réaménagement de la cité. Récemment, la quatrième opération tiroir de la cité Diar El Kef (elle concerne le réaménagement des 790 cellules des immeubles de ladite cité, en des appartements décents affectés aux familles) a été achevée. Ainsi, 89 familles ont bénéficié de logements réaménagés sur site et 261 autres ont été relogées au niveau des communes de Draria et de Souidania. Selon les informations qui sont en notre possession, quelque 400 familles ont pu bénéficier de cette opération recasement et relogement. En guise de perspective d'avenir pour cette cité, il est prévu que la cinquième et dernière opération tiroir concerne la requalification de 186 cellules qui seront transformées en 106 logements. Une décision qui a mis du baume au cœur de centaines de familles qui pourront, enfin, avoir un logement assez décent. Mais comparé aux efforts qui restent à faire, il ne serait guère exagéré de dire que ce n'est là qu'une goutte dans l'océan au regard du colossal travail qui reste à faire. De nombreux pans attendent depuis longtemps d'être pris en charge. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que l'«épisode» de Diar Echems remet sur le tapis toute la problématique de l'habitat en Algérie. La gestion du dossier des bidonvilles, l'habitat précaire, les critères d'attribution du logement social sont autant de défis à relever par les pouvoirs publics.