Morne ambiance, état végétatif, atmosphère de couvre-feu, ville morte, ce sont autant de descriptifs indispensables pour dépeindre l'état dans lequel plonge à la tombée de la nuit la capitale. Un statut que celle-ci a visiblement du mal à assumer surtout en matière de transports de nuit. La déficience, « anormale » à tous points de vue, n'est pas pour autant reconnue par les « professionnels » des transports. On trouvera même ceux qui affirment que les transports de nuit ne sont pas une « simple vue de l'esprit » mais « existent » réellement. « L'Etusa assure actuellement le transport de nuit sur 9 lignes, à partir de la place Audin et la place des Martyrs et cela jusqu'à 23 h », affirme son directeur de l'exploitation, Zoubir Hellal. Le taux de fréquentation, seulement de 10%, selon ce responsable, compromet considérablement le maintien des « bus de nuit », car, dit-il « ces lignes ne sont pas rentables ». Avec ses 60 nouveaux bus acquis en 2003 et 150 en 2004 (pour un montant global de 5,5 milliards de dinars), l'Etusa, actuellement la seule grande entreprise de transport en commun pour toute la ville d'Alger et autour de laquelle devrait se construire le service de nuit, accuse un déficit évident en la matière. « Nous attendons que le nouveau cahier des charges actuellement en préparation au ministère clarifie davantage la mission de l'entreprise et précisément ce volet », dira en substance Hellal. L'Etusa s'apprêterait à troquer son présent statut pour celui d'Epic, établissement public à caractère commercial. Ce qui peut-être reviendrait à dire que c'est toute la notion de service public qui sera revue à l'occasion. Segment tout aussi important, le transport ferroviaire s'efface complètement de la scène, attendant des jours meilleurs. Les navettes de banlieue, assurées pendant la journée s'arrêtent vers 19h30. La raison du désintérêt de la Sntf pour le transport de nuit vient, nous expliquera M. Sebaâ, directeur d'exploitation à la société ferroviaire « des coûts élevés d'exploitation » de ce type de transport et du nombre de voyageurs très infime qu'ont les trains du soir. Ce constat a été établi, dit-il, après avoir fait des « essais » au mois de Ramadhan dernier. Déclarant que le changement s'opérera peut-être avec la prochaine mise en service des automotrices, référence faite aux nouveaux équipements que la Sntf va acquérir dans le cadre du projet de l'électrification de la voie ferrée d'Alger. « Peut-être que là, il y aura une demande plus importante », espère-t-il. La solution au « problème » des transport de nuit réside, selon M. Sebaâ, dans le « système de transport intégré » que le département de M. Meghlaoui serait en passe de mettre en place pour 2009. Ce système intégrera le métro, tramways (livrables théoriquement en cette année), bus et navettes de banlieue. Un ensemble d'opérateurs qui sera mis sous la même coupe avec usage de ticket unique, (à tarif uniformisé) valable pour tous types de déplacements, tels que préconisé ailleurs, évitant ainsi aux intervenants dans les transports de supporter « seuls » les manques à gagner. Une affaire de rentabilité Pour ce qui est de « l'harmonisation » des niveaux de tarification des transports, le directeur des transports de la wilaya d'Alger, M. Ben Djoudi, nous apprendra qu'une étude en ce sens a été lancée par les autorités. Laquelle étude a été confiée à un bureau canadien qui devrait rendre ses conclusions au mois de juin. M. Ben Djoudi mettra l'accent, pour sa part, sur le manque de demande pour le transport de nuit. Il faudrait, selon lui, penser à des mécanismes pour permettre aux entreprises qui assurent le service de nuit de faire face à la non rentabilité qui affecte ce créneau. En plus, Alger a, selon lui, un « problème de vie nocturne » pas trop animée à son goût pour mettre en place un service de transport durant la nuit. Ce n'est pas l'avis des animateurs d'arts et culture, établissement (parmi peu d'autres) qui s'essaie à l'éveil artistique d'Alger. Pour Mme Benelkadi, chargée de la communication aux arts et culture, les activités artistiques sont au contraire « assez fréquentes », citant au passage « le mois du chaâbi » au programme ces jours-ci et dont les galas débutent en début de soirée. L'absence du transport de nuit altère considérablement la programmation des festivités si elle ne les freine pas. « Le public hésite souvent à venir assister aux festivités à cause du manque de transports ». Les noctambules, les fêtards et les travailleurs de nuit, en vraies victimes expiatoires, se rabattent sur la seule et unique planche de salut qui leur a été offerte « le taxi clandestin ». Véritable phénomène national qui se développe à l'ombre de la « démission » des opérateurs de transports, légalement « reconnu ». Par démission, celle des chauffeurs de taxi (plus de 30 000 taxis sont actuellement accrédités à Alger) est de loin la plus flagrante, même si les représentants syndicaux soutiennent le contraire. Il en est ainsi de Slimani Ahmed, coordinateur de la section de wilaya, affiliée à l'Ugcaa qui atteste que « les taxis de la capitale n'ont jamais cessé d'assurer le service de nuit ». Et que « malgré le climat d'insécurité qui caractérise le travail de nuit, beaucoup préfèrent besogner la nuit, car, dit-il, la circulation est aussi nettement plus fluide. Vous avez uniquement l'impression qu'il n'y en a pas assez, mais en réalité, ils sont nombreux les taxis... au centre d'Alger ». Ce n'est en tous cas pas l'opinion de ce chauffeur de taxi à qui nous avons demandé pourquoi les chauffeurs de taxi abandonnent la capitale aux transporteurs clandestins. « Avec tous les cas d'agressions et de vols de voitures qu'on rapportent chaque jour, je préfère ne prendre aucun risque (...) je préfère garer ma voiture et rester avec ma famille plutôt que, pour quelques dinars de plus, j'en perde la vie ».