L'Algérie, qui cumule depuis quelques années les performances, renvoie aujourd'hui l'image d'un pays remis sur pied et complètement rétabli. Une image que les officiels ne ratent jamais une occasion pour la mettre en évidence à coups de chiffres mirobolants : croissance moyenne de plus de 5%, PIB à 100 milliards de dollars, solde budgétaire positif à hauteur de 12,8 milliards de dollars, un excédent commercial de l'ordre de 23,5 milliards de dollars, inflation à moins de 3%, etc. Ces chiffres qui donnent le tournis à plus d'un et font envier nos voisins constituent-ils pour autant un gage de sûreté pour l'Algérie ? Non, loin s'en faut. Les chiffres de la croissance en Algérie cachent en fait une tout autre réalité. Les invités du forum des débats d'El Watan consacré la semaine dernière au thème " Aux sources des contre-performances de l'économie nationale " ont apporté des éléments de réponse. A regarder de plus près, la croissance algérienne est " artificielle " pour reprendre le terme de Smaïl Goumeziane, économiste enseignant à l'université Paris-IX Dauphine. Une croissance tirée principalement par les recettes des hydrocarbures et la fiscalité pétrolière correspondante. Pays de plus en plus monoexportateur, l'Algérie, souligne l'économiste, " bénéficie grandement de l'inflation externe qui sévit sur les marchés pétroliers internationaux ". Atteignant aujourd'hui près de 46 milliards de dollars de recettes, les hydrocarbures représentent désormais plus de 45% du PIB. Et c'est là où réside tout le problème pour le chercheur. Le secteur des hydrocarbures voit sa croissance, indique-t-il, exploser à plus de 39% " mais son fleuron, Sonatrach doit se résoudre à partager les revenus correspondants avec les concurrents étrangers prospectant et produisant dans le Sahara ". Cette année, nous apprend-il, 4 à 5 milliards de dollars sont transférés hors d'Algérie par ces compagnies et la tendance devrait s'accélérer avec l'adoption de la nouvelle loi sur les hydrocarbures. Un transfère de bénéfices qui n'est pas sans incidences sur l'économie nationale. Une crainte que partage Hamid Ait-Amara, économiste, enseignant chercheur à l'Université d'Alger, qui estime que " les profits exportés peuvent à terme menacer l'équilibre des comptes extérieurs ". Il citera à ce sujet un rapport 2005 de l'ONU sur les investissements directs étrangers (IDE) qui met en garde en indiquant que " les entrées de capitaux peuvent procurer des avantages, mais l'ampleur des sorties ultérieures des bénéfices dégagés par l'investissement peut être considérable ". Dans bien des pays, fait remarquer M. Ait Amara, l'ampleur des transferts de profits dépasse l'entrée des capitaux au point même où l'IDE a remplacé la dette. D'où l'intérêt des pays comme l'Algérie, recommande-t-il, " de sélectionner les IDE qu'ils souhaitent recevoir, d'en mesurer les effets attendus, de déterminer les critères de choix de ces investissements". Trois secteurs profitent conjoncturellement de la croissance pétrolière, souligne M. Goumeziane. En premier lieu, le secteur des hydrocarbures lui-même, qui draine l'essentiel des flux d'investissements. En second lieu, le secteur des travaux publics et des transports engagés dans un vaste programme de développement infrastructurel (routes, voies ferrées, logements). Enfin le secteur agricole, qui tente, au gré des aléas climatiques, de contenir une facture alimentaire qui grimpe à près de 4 milliards de dollars. Il relève, en revanche, que la croissance enregistrée par les secteurs de BTPH et de l'agriculture " résulte pour une grande partie des possibilités ouvertes par les importations des équipements et d'intrants et par l'accroissement de la dépense publique, notamment en matière d'investissement infrastructurel ". Des investissements qui profitent, selon lui, aux entreprises étrangères non seulement en termes de marchés et de rentabilité, mais aussi en termes d'emploi. Les travailleurs étrangers de plus en plus nombreux remarqués dans différentes villes en sont, dit-il, la preuve vivante. Cette tendance devra se poursuive remarque le professeur qui impute le problème aux retards accumulés en matière de formation professionnelle. L'Algérie, traditionnellement terre d'émigration, deviendra ainsi, prévoit M. Goumeziane, un pays d'immigration et on accueillera de plus en plus de travailleurs étrangers à faible qualification professionnelle et à faible rémunération mais on perdra de plus en plus de cadres et chercheurs algériens. L'inflation que les chiffres officiels situent au deçà de 3%, il suffit, indique l'économiste, " d'aller dans le détail du panier de la ménagère et demander à celle-ci ce qu'elle pense des prix des produits alimentaires, de celui des transports, et plus encore du prix du logement pour avoir une idée plus précise de l'inflation subie par nos concitoyens ". Les familles pauvres selon une étude citée par le conférencier, sont celles qui souffrent le plus du manque de logement puisqu'elles consacrent de 40 à 50% des revenus pour le logement. Le taux de chômage avancé par les pouvoirs publics est un autre chiffre contesté par le chercheur. Ramené du 30 à 15% de la population active, le taux actuel du chômage doit être, d'après lui, accueilli avec prudence. " Car même si les chiffres officiels sont statistiquement justes, leur contenu est " biaisé " par plusieurs aspects : une grande partie des demandeurs d'emplois (les plus jeunes) sont passés en formation et ont donc changé de statut ; une autre partie est considérée comme en emploi dès qu'elle a travaillé une heure dans la journée ; d'autres sont employés dans des activités saisonnières ou conjoncturelles (agriculture, chantiers divers) et certains travaillent occasionnellement dans plusieurs endroits et sont comptabilisés autant de fois... Le plan du soutien à la relance économique (PCSC) auquel l'Etat a mobilisé 80 milliards dollars a été par ailleurs battu en brèche par le conférencier estimant qu'il confirme la tendance de l'accroissement des dépenses publiques en investissements infrastructurels et à l'augmentation des volumes importés. Après avoir connu, dans les années 1970, " un modèle " de développement basé sur les " industries industrialisantes ", on serait désormais, affirme-t-il, dans une sorte de " modèle " de croissance par les " infrastructures industrialisantes ". Ce dernier modèle porté par le PCSC, poursuit-il, " entraîne des effets pervers générateurs de risque en termes de développement ". Le modèle en question renforce plus que jamais la " spécialisation primaire sectorielle de l'économie nationale, imposant à celle-ci de marcher, et pour longtemps encore, sur un seul pied, celui des hydrocarbures ". Le modèle induit par ailleurs un processus de " production/substitution ", autrement dit un processus progressif de remplacement de la production nationale par les importations. En conclusion, le chercheur estime qu'il est aujourd'hui urgent " d'engager, au niveau national et international, une réflexion sur ce que peut être une croissance algérienne porteuse de développement. Pour cela, il préconise de " partir de plusieurs constats, s'ouvrir sans complexe aux expériences et succès obtenus de par le monde, tracer les lignes forces d'une stratégie de développement alternative et la soumettre au débat libre et public dans le pays ".