C'est désormais la consternation qui a envahi la rue tripolitaine et libyenne en général, suite aux incidents qui se sont déroulés vendredi après-midi dans la localité de Gharghour, aux environs de Tripoli. Tripoli (Libye). De notre envoyé spécial Depuis la chute de Gueddafi, c'est la première fois qu'autant de victimes sont enregistrées dans des incidents entre Libyens. Jamais les milices n'ont tiré sur la foule avec autant de violence et fait autant de dégâts. Conséquence : peur, consternation et, surtout, colère contre la présence prolongée des milices à Tripoli. Mais aussi des réclamations de plus de rigueur de la part du gouvernement d'Ali Zeidan, qui n'est pas parvenu à imposer l'autorité de l'Etat. Les Tripolitains n'ont pas dormi, avant-hier soir, en raison des incidents dans le quartier de Gharghour, situé au sud-ouest de Tripoli. Ils vivent depuis dans la peur de voir la guerre civile s'installer. En effet, il ne suffit pas que 43 personnes aient péri et plus de 400 aient été blessées dans ces incidents, suite à une manifestation pacifique réclamant le départ des milices de Misrata, les Tripolitains vivent désormais dans la peur de voir la situation s'embraser si ces fameuses milices envahissent Tripoli pour venir en soutien à leurs frères délogés de leurs villas conquises après la chute d'El Gueddafi. La peur des Tripolitains est doublée par le fait qu'il n'y a pas de forces réglementaires capables de s'interposer entre milices rivales, notamment celles de Misrata et celles de Tajoura ou Souk Joumaâ, qui essaient d'empêcher les premières d'accéder à Tripoli. Cette absence de l'autorité de l'Etat a été perçue dans les propos du chef du gouvernement, Ali Zeidan, lors d'une conférence de presse tenue hier en fin de matinée. Zeidan n'a pas trouvé mieux que de demander aux conseils locaux de Tajoura et Souk Joumaâ d'essayer de convaincre les milices de Misrata de ne pas avancer sur Tripoli. «Mes frères, l'intérêt de la Libye impose à toutes les milices de ne pas venir à Tripoli pour ne pas envenimer davantage la situation déjà explosive», a-t-il dit. En réponse à une question sur les capacités du gouvernement à faire face à cette crise, Zeidan a reconnu l'incapacité de l'autorité officielle à assurer ce rôle : «Les forces réglementaires ne disposent pas que d'un armement léger alors que ces milices rivales sont lourdement armées. L'Etat ne dispose donc pas de potentiel suffisant pour les contrer.» Peur citoyenne La situation est donc explosive à Tripoli. Il y a un risque élevé de guerre civile. Comment les citoyens vivent-ils cette crise ? «Ces milices sont un véritable cauchemar pour les citoyens», explique Ala, un Libyen de 32 ans, qui s'est rendu avant-hier à Gharghour pour chasser les milices de Misrata de leur quartier général, établi dans les villas de la famille d'El Gueddafi et des notables de son régime. «La reprise de ce quartier général a permis de libérer des otages qui étaient aux mains de ces milices, dont le fils du ministre de la Défense et un notable de Tajoura, ainsi que trois petits entrepreneurs qui n'ont pas été en mesure de payer de fortes rançons», ajoute Ala. Ce jeune tripolitain est réceptionniste dans un hôtel. Il a pris une autorisation de son patron pour aller participer à la manifestation pacifique, prévue de longue date, après la prière du vendredi. «Les citoyens en ont marre des dépassements de ces milices qui empêchent l'installation de l'autorité de l'Etat», se lamente-t-il. «Nous n'avons pas chassé El Gueddafi pour nous retrouver dans une situation pire qu'il y a deux ans», regrette-t-il. Pour Haj Mansour, un entrepreneur de 65 ans, «le problème réside dans la présidence du Congrès national général (CNG) et le gouvernement qui n'ont rien fait pour doter le nouvel Etat libyen des institutions à même de l'aider à installer son autorité». Il a demandé à faire sortir le CNG de Tripoli. «Les milices vont le suivre car elles ne sont que les forces de frappe des divers groupes politiques au sein du Conseil», accuse-t-il. Cet homme d'affaires pense que «le pouvoir de ces quasi-mercenaires a été renforcé par les agissements du gouvernement qui a multiplié les dotations en leur faveur». «Espérons que ce ne soit pas déjà trop tard», conclut-il. En général, suite à une tournée dans les principales artères de Tripoli, les Tripolitains ne sont pas optimistes face à ces graves incidents qui ont secoué leur ville fétiche. Ils ont peur. «Cette forte présence d'armes en circulation inquiète, sans parler de l'absence de l'autorité de l'Etat», affirme plus d'un. Certes, la vie courante se poursuit de façon presque normale. Mais l'anxiété est sur tous les visages. Par ailleurs, plusieurs écoles des quartiers de Gharghour et Tajoura étaient hier quasi-vides. «Que Dieu protège Tripoli !», implore une ménagère venue faire ses courses au marché du centre-ville. De la tension en vue. Mais les Tripolitains sont déjà sortis de situations plus dangereuses.