Un drame innommable qui non seulement marquera longtemps les esprits, mais minera l'équilibre psychologique de toute une famille. Dans la nuit de mercredi, à 22h 26 minutes, précisément, la famille Youbi, occupant un F3 au 3ème étage d'un immeuble à la cité Boumerzoug, un quartier populeux dans la périphérie Est de Constantine, est soudain confrontée à un drame horrible. Trois soeurs, Souad, 39 ans, Houda, 35 ans, et Leïla, 31 ans, épouvantées, en proie aux flammes qui les entourent de toutes part dans la petite chambre qu'elles partagent, poussent des cris sauvages, tout en tentant d'échapper aux flammes impitoyables qui les cernent de toutes parts. Les efforts des autres membres de la famille pour les secours s'avèrent ardus dès lors que la porte de la chambre est fermée de l'intérieur. Quand les trois malheureuses sœurs sont évacuées par les éléments de la Protection civile au CHU Ben Badis, elles sont dans un état atroce. Houda, le corps ravagé par le feu, succombe à l'entrée même du CHU, alors que Souad et Leïla sont admises aux urgences médicales, au service des brûlés, où elles sont immédiatement mises sous soins intensifs poussés. Selon le chargé de communication du CHU, Aziz Kabouche, les deux jeunes femmes sont prises en charge par le Pr. Djemmame. Voici ce que notre interlocuteur nous révèle sur leur état : «Elles sont toutes les deux en réanimation ; elles souffrent de brûlures du 2e degré mais leurs fonctions pulmonaires sont altérées ; le feu a endommagé 40% de leur surface corporelle à partir du thorax et des membres inférieurs; c'est surtout leur système respiratoire qui est en ce moment en difficulté, ce qui ne permet pas, pour l'heure, de se prononcer sur leurs chances de survie.» Nous n'avons pas pu voir les deux victimes, malgré notre insistance, mais en revanche, nous nous sommes déplacé à leur domicile, où nous avons rencontré leur mère, M. T., 61 ans, et leurs frères, Billel et Brahim (entre 22 et 26 ans). Tantôt effondrée et hagarde, tantôt volubile, jusqu'à l'excitation, la pauvre mère offre tous les signes d'une profonde dépression. Un membre de la famille nous dira qu'elle refuse de prendre des sédatifs. Entre deux brefs sanglots, elle raconte la tragédie : «Mes filles ont eu une querelle entre elles dans leur chambre, et je les ai laissées parce qu'elles en avaient l'habitude ; je me trouvais au salon et je regardais la télé, quand soudain j'ai senti une forte odeur d'essence, tout de suite suivie de cris horribles. Nous sommes accourus mes fils et moi, et nous avons ouvert la porte de force. Ce que j'ai vu était monstrueux ! Mes filles étaient méconnaissables, surtout Houda, elle était complètement brûlée, noire.» Ne tenant plus en place, elle nous mène vers la chambre du drame. Un moment insoutenable ! Un sinistre angoissant nous frappe de plein fouet, au milieu du reste de l'appartement qui a échappé aux flammes : des murs et un plafond noirs de fumée, des rideaux calcinés, trois matelas en laine éventrés et entièrement consumés, une armoire en bois à moitié brûlée…seul la dalle de sol est intacte. «Mes filles sont instruites, mais elles n'ont pas eu beaucoup de chance ; c'est le mauvais œil, tout ça», s'est écriée la malheureuse mère, qui ne pouvait s'empêcher de se frapper le visage. Selon un des frères, Billel (22 ans), sa défunte soeur Houda ne voulait pas mourir. «Depuis quelque temps elle avait des crises de désespoir, elle était très mal dans sa tête, et ça lui arrivait de menacer de se jeter par le balcon, mais elle ne voulait pas mourir ; cette nui-là, elle avait fait rentrer le bidon d'essence de 5 litres avec elle dans la chambre et un briquet qui ne marche pas, -et elle le savait ; mais quand elle a fait mine de l'allumer, il a émis des étincelles, et comme elle avait de l'essence sur elle, ça a tout de suite pris ; elle ne voulait pas faire de mal à ses sœurs.» Quoi qu'il en soit, le drame est là, peut-être pour toujours. La mère, abandonnée par le père depuis 21 ans, a élevé tant bien que mal ses sept enfants, 4 garçons et 3 filles. Les filles ont pourtant fait des études, mais apparemment ont beaucoup galéré pour trouver un travail. Houda, malgré son diplôme d'ingénieur d'Etat, était employée dans une firme pharmaceutique dans le cadre de l'Anem, avec 15 000 DA de salaire mensuel ; Souad est enseignante de maths dans un collège, et Leïla adjointe d'éducation, également dans le cadre de l'Anem. Selon quelques témoins du voisinage, cette famille nombreuse entretenait des rapports très pénibles, et était sous le coup d'une menace d'expulsion, ce qui justifie la présence du bidon d'essence que l'on comptait brandir le cas échéant.