Le coordinateur national adjoint du Conseil national de l'enseignement supérieur (CNES), syndicat des enseignants, Farid Cherbal, interpellé dimanche dernier à la sortie de l'université des sciences et de la technologie Houari Boumediène (USTHB), a été entendu, hier, par le juge d'instruction près le tribunal d'El Harrach. Selon ses avocats, l'audition a duré près de deux heures et abouti à deux chefs d'inculpation : incitation à la grève d'une manière illégale et déconsidération d'une décision de justice. « Pour le premier point, le magistrat s'est appuyé sur l'article 55 de la loi 90-02 », relève Me Noureddine Benissad. S'agissant de la première comparution, la défense ne s'est donc pas trop attardée sur le fond, mais se réserve le droit de poser toutes les questions requises lors de la 2e comparution de notre mandant », ajoute l'avocat, qui fait partie d'un collectif de défense composé, par ailleurs, des maîtres Meziane, Belhadj et Haddadi. L'avocat Hocine Zehouane a tenu à exprimer sa solidarité avec Farid Cherbal en tant que président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH). Aucune déclaration n'a émané du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, que nos reporters ont vainement tenté de joindre. Idem pour la coordination nationale du CNES qui, rappelle-t-on, considère Farid Cherbal, ainsi que Mustapha Mechab, coordinateur régional de l'Ouest, comme étant « exclus » des instances dirigeantes du syndicat. Suspendu de son poste d'enseignant à la faculté des sciences de Sidi Bel Abbès, Mustapha Mechab a été interpellé, hier, par des policiers en civil à sa sortie de son domicile et présenté devant le tribunal de la même ville. Selon notre correspondant à Sidi Bel Abbès, M. Mechab aurait été placé sous contrôle judiciaire par le juge d'instruction. Pour ce qui est de Khaled Bessila (coordinateur du CNES à l'université de Constantine), arrêté avant-hier, il a été relâché dans la nuit de dimanche à lundi, précisément à 2 h, apprend-on auprès de son entourage. Placé sous contrôle judiciaire, le professeur à l'USTHB et non moins défenseur des droits moraux et matériels des enseignants du supérieur depuis plusieurs années, Farid Cherbal, a franchi le seuil de sortie du tribunal vers 13 h. Plus d'une centaine d'enseignants et d'enseigantes ainsi que des syndicalistes du CNES, venus de Boumerdès, de Blida, de l'USTHB, de l'EPAU, de l'INA, de l'INI et de l'ENTP, entre autres, ont tenu à accueillir leur « frère et camarade » sous un soleil de plomb. Des you you fusèrent spontanément. Les traits fatigués, Farid Cherbal, fortement ému, ne s'empêchait pas de serrer la main à tout le monde. « Merci de votre soutien ! », avait-il lancé à ses collègues, tenant cependant à s'abstenir de toute déclaration à la presse. « Voyez avec mes avocats. Ils sont bien placés pour répondre à vos questions », dit-il aux journalistes. Maître Benissad reviendra d'ailleurs sur la manière dont a été interpellé le syndicaliste lorsqu'il a quitté le campus de l'université de Bab Ezzouar à 17h45. « M. Cherbal a signifié au magistrat instructeur que son interpellation a été opérée sans mandat d'amener. Selon notre mandant, ce document, s'il existait, n'a pas été exhibé par les policiers. Nous estimons qu'il aurait été mieux de convoquer M. Cherbal par voie de justice », soutient l'avocat. Il faut dire que le passage du syndicaliste chez le juge a suscité la « consternation » au sein de la société civile et des partis politiques. Des personnalités de tous bords ont tenu, en effet, à se déplacer au tribunal d'El Harrach. Représentant le Parti des travailleurs, le député Abderrahmane Arfoutni se dit « blasé par le harcèlement dont sont victimes les syndicalistes ». « Où est la politique de la paix ? Laissez les syndicalistes activer librement du moment que la Constitution le leur permet et que leur base les en a dûment mandatés. Je suis outré qu'un professeur d'université soit arrêté et terrorisé parce qu'il n'a fait que défendre les intérêts de l'université. Que la police s'occupe d'autres affaires au lieu de harceler l'élite nationale », s'écrie le représentant de Louisa Hanoune. Pour Salah Chawki, porte-parole du Parti socialiste des travailleurs (PST), « l'interpellation de Cherbal et son passage devant la justice constituent une atteinte grave à l'exercice syndical ». « Au lieu d'ouvrir des négociations avec les grévistes, le pouvoir préfère instrumentaliser la justice. Nous condamnons cette pratique », a-t-il ajouté. Au nom du Conseil des lycées d'Alger (CLA), Redouane Osmane s'élève lui aussi contre la manière dont a été interpellé Farid Cherbal. « C'est révoltant en ce sens que notre ami Cherbal n'avait pas à être emmené dans un commissariat de police. C'est à la justice de convoquer M. Cherbal, ce à quoi il aurait répondu sans aucun problème », indique encore le secrétaire général du CLA. Des étudiants de l'USTHB ont répondu également présent à cet élan de solidarité. « Nous sommes là en guise de soutien à M. Cherbal, notre enseignant à Bab Ezzouar. Nous n'arrivons pas à comprendre qu'un professeur d'université soit arrêté et traduit devant la justice à cause de son statut de syndicaliste », témoignent, dépitées, trois étudiantes. Par ailleurs, les sections CNES des établissements « grévistes » n'ont pas manqué de condamner vivement l'interpellation de Farid Cherbal ainsi que Mustapha Mechab (coordinateur régional de l'Ouest) et de Khaled Bessila, coordinateur CNES de l'université Mentouri de Consatntine. « Nous nous interrogeons sur la signification de ces manœuvres faites au lendemain de l'installation du nouveau chef du gouvernement, qui, pourtant, laissait entendre une écoute aux doléances des travailleurs et des enseignants », lit-on dans une déclaration rendue publique, hier, par les sections CNES de plusieurs universités et grandes écoles du pays. Ces syndicalistes qui accusent la direction nationale du CNES d'avoir « choisi le camp du pouvoir » en « gelant » la grève du supérieur lors d'un Conseil national tenu le 11 mai 2006, s'adressent à Abdelaziz Belkhadem en ces termes : « Nous vous appelons à rompre avec les pratiques passées et à ouvrir des négociations avec les réels représentants des enseignants. C'est l'unique voie menant à la sérénité au sein de l'université algérienne. » « La grève, entamée le 13 mai 2006, se poursuit toujours », nous a déclaré un syndicaliste de l'USTHB. Les retombées de ce mouvement qui « va inexorablement vers le pourrissement », pour reprendre les termes d'un gréviste, ce sont pas moins de 200 000 examens bloqués. Une situation qui devra peut-être inciter le nouveau chef du gouvernement à inscrire le dossier parmi les priorités absolues de l'Exécutif.