Tout le monde le sait : l'actuel ministre égyptien de la Défense, le général Abdelfatah Al Sissi, chef de l'armée et vice-Premier ministre, est actuellement le véritable homme fort en Egypte. Fort, il le sera très certainement encore davantage une fois la nouvelle Constitution adoptée. Cela tout autant d'ailleurs que l'institution qu'il dirige, c'est-à-dire l'armée. En effet, le sujet épineux des pouvoirs de l'armée en Egypte était hier au cœur du vote final d'une commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution avant le référendum, première étape d'une «transition démocratique» promise par les militaires après le renversement du président Mohamed Morsi le 3 juillet dernier. Tout porte à croire effectivement que la transition promise aux Egyptiens n'aura visiblement de démocratique que le nom puisqu'il se trouve que des articles du projet de Constitution maintiennent à l'armée des pouvoirs exorbitants du droit commun. Au lendemain de l'adoption à une très large majorité des 138 premiers articles de la Constitution (sur 247), le groupe des 50 personnalités chargées de la révision de la Loi fondamentale, dit le «Comité des 50», ont voté sans problème en faveur d'articles que de nombreux opposants égyptiens n'ont pas hésité, ces derniers jours, à qualifier de «liberticides». Le plus polémique était l'article 204 qui autorise les militaires à juger des civils «en cas d'attaque directe contre les forces armées», notamment contre «leurs équipements et leurs personnels». La fin des procès de civils devant des tribunaux militaires était pourtant au cœur des revendications de la révolte de 2011 qui a chassé du pouvoir le président Hosni Moubarak. Les défenseurs des droits de l'homme ont dénoncé le maintien de cette mesure issue des Constitutions précédentes, redoutant que «l'attaque directe» mentionnée dans l'article en question ne soit interprétée par les juges au sens le plus large, ouvrant la voie à de nombreuses poursuites. Pour plusieurs organisations de défense des droits humains, ce projet de Constitution annonce, de manière claire, un retour à la case départ, c'est-à-dire aux dures années de plomb. La parenthèse enchantée se referme Seul Mahmoud Badr, représentant du mouvement Tamarrod, qui a été présenté par la presse comme étant à l'origine des manifestations fin juin contre M. Morsi et acquis aux nouvelles autorités, ne s'est pas montré inquiet. Il a estimé que «la formulation actuelle limite les procès militaires de civils». Toutefois, la réalité de ces derniers mois ne laisse que peu de doute concernant les intentions de l'armée égyptienne et à la place qui sera réservée à l'avenir aux libertés dans ce pays. Depuis le 3 juillet, trois journalistes ont par exemple écopé de peines de prison devant de tels tribunaux. Et la liste est encore longue. Autre entorse à la transparence, le budget de l'armée reste aussi à l'abri de tout droit de regard civil. Le Conseil national de la Défense, qui comprend 14 membres, dont huit militaires, le ministre de l'Intérieur et des responsables gouvernementaux, est le seul habilité à en discuter. Quant au ministre de la Défense, durant les deux mandats présidentiels à venir, soit huit ans, il ne pourra être nommé qu'en accord avec le Conseil suprême des forces armées (CSFA), selon le texte du projet de loi. Bref, l'armée égyptienne reprend globalement la place qui était la sienne sous Moubarak. L'armée égyptienne a, rappelle-t-on, destitué et arrêté le 3 juillet dernier le président islamiste Mohamed Morsi, premier chef de l'Etat élu démocratiquement en Egypte, suspendu la Constitution et nommé un gouvernement intérimaire chargé, outre d'élaborer une nouvelle Loi fondamentale, d'organiser des élections législatives et présidentielle en 2014. Et depuis mi-août, ce pouvoir dirigé de facto par les militaires réprime dans le sang les partisans de M. Morsi. Depuis peu, la répression a ciblé également des laïcs. Des dizaines d'entre eux ont été arrêtés mardi pour avoir justement manifesté contre l'article 204. Les arrestations interviennent en application d'une nouvelle loi interdisant tout rassemblement non autorisé. Deux figures de proue des mouvements laïcs de la jeunesse ont ainsi fait les frais de cette loi : Alaa Abdel Fattah a été arrêté, accusé d'avoir organisé ce rassemblement contre les procès militaires de civils, et Ahmed Maher s'est rendu à la justice pour répondre d'une manifestation dénonçant la mort de manifestants fin 2011. A signaler qu'une fois tous les articles adoptés, le texte final sera remis au Président par intérim, Adly Mansour, qui aura un mois pour annoncer un référendum. Selon certaines sources, ce projet de Constitution pourrait être soumis au suffrage populaire à la fin du mois de décembre ou au début du mois de janvier 2014. Selon la feuille de route établie par l'armée, la transition post-Morsi doit s'achever à l'été 2014 avec des élections législatives puis présidentielle. A l'allure où vont les choses, les résultats de ces scrutins seront très faciles à deviner. C'est visiblement là que s'arrête le feuilleton à rebondissements du printemps égyptien.