Le sujet épineux des pouvoirs de l'armée en Egypte était au cœur dimanche du vote final d'une commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution avant un référendum, première étape d'une transition démocratique promise par les militaires. Le 3 juillet, la toute puissante armée a destitué et arrêté le président islamiste Mohamed Morsi, premier chef de l'Etat élu démocratiquement en Egypte, suspendu la Constitution et nommé un gouvernement intérimaire chargé d'élaborer une nouvelle loi fondamentale et d'organiser des élections législatives et présidentielle en 2014. Et depuis mi-août, ce pouvoir dirigé de facto par les militaires mène une répression extrêmement sanglante des partisans de M. Morsi, issu de la confrérie des Frères musulmans. Or, des militants des droits de l'Homme dénoncent des articles maintenant les privilèges de l'armée dans le projet de Constitution, notamment le droit de juger des civils. C'est dans ce contexte que la justice a ordonné la prolongation de 15 jours de la détention d'une figure du mouvement laïc en Egypte accusée d'avoir organisé une manifestation contre ces articles mardi. Alaa Abdel Fattah doit répondre de l'organisation d'une "manifestation illégale" en vertu d'une loi interdisant tout rassemblement n'ayant pas obtenu l'aval du ministère de l'Intérieur et d'avoir "frappé un officier de police". Le militant, déjà inquiété sous le régime de Hosni Moubarak puis sous la junte militaire qui a assuré l'intérim après son départ lors de la révolte de 2011, avait été arrêté à son domicile jeudi soir lors d'une interpellation musclée selon son épouse. Avec lui, 24 manifestants ont écopé dimanche de 15 jours supplémentaires de détention, selon des sources judiciaires. Parallèlement, la justice a ordonné la libération d'Ahmed Maher, fondateur du mouvement du 6-Avril fer de lance de la révolte de 2011, qui s'était rendu à la justice samedi. Les sources ont précisé qu'en dépit de sa libération, il devait toujours répondre de l'organisation d'une manifestation "illégale". Au même moment, la Constituante qui a approuvé samedi à une très large majorité des 138 premiers articles de la Constitution (sur 247), reprenait ses travaux et devrait, sauf surprise, approuver les articles restants. Le plus polémique autorise les militaires à juger des civils "en cas d'attaque directe contre les forces armées", notamment contre "leurs équipements et leur personnel" alors que la fin des procès de civils devant des tribunaux militaires était au cœur des revendications de la révolte de 2011. "Constitution du futur" Depuis le 3 juillet, trois journalistes ont écopé de peines de prison devant de tels tribunaux, tandis qu'une soixantaine de membres des Frères musulmans ont été condamnés à de lourdes peines, dont un à la réclusion à perpétuité, par des juges militaires. En outre, le budget de l'armée reste à l'abri de tout droit de regard civil, et le ministre de la Défense ne pourra être nommé qu'en accord avec le Conseil suprême des forces armées (CSFA) durant les deux mandats présidentiels à venir -soit huit ans, selon le texte soumis au vote. L'actuel ministre de la Défense, le général Abdel Fattah al-Sissi, chef de l'armée et vice-Premier ministre, est le véritable homme fort du pays où la répression des partisans des Frères musulmans a fait depuis la mi-août plus d'un millier de morts. Human Rights Watch a accusé l'armée d'être responsable de la "disparition forcée" de cinq membres de la garde rapprochée de M. Morsi, détenus au secret depuis sa destitution il y a près de cinq mois. Ahmed Abd Rabbo, qui enseigne les Sciences politiques à l'Université du Caire, estime que ces articles "ne donnent aucune garantie contre la militarisation de l'Etat". Pour son collègue Hassan Nafaa, la vraie question se posera au moment du référendum car "il est toujours difficile d'obtenir une large majorité dans un pays divisé". "Les gens ne voteront pas en fonction de leur opinion sur le texte mais plutôt en fonction du camp auquel ils appartiennent", dit-il. Et les articles concernant l'armée "alimenteront le débat parmi les laïcs que la loi sur les manifestations a déjà mis en colère". Une fois tous les articles adoptés, le texte final sera remis au président par intérim Adly Mansour qui aura un mois pour annoncer un référendum, selon la feuille de route établie par l'armée pour encadrer la transition post-Morsi qui doit s'achever à l'été 2014 avec des élections législatives puis présidentielle.