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«Travailler à déconstruire cette culture rentière qui mine tout le système social» Dr Fouad Bouguetta. chercheur et doyen de la faculté des sciences humaines et sociales (université de Annaba)
Fort d'un long parcours dans le domaine de la recherche, d'un cursus universitaire international (diplômé d'universités américaines et canadiennes), le Dr Fouad Bouguetta recommande dans cet entretien la mise en place de pôles d'innovation et de développement économique solidaire, c'est-à-dire des réseaux locaux et nationaux susceptibles de regrouper des PME, des laboratoires de recherche, des centres de formation, des associations à vocation économique pour travailler autour d'une même chaîne de valeur, une même filière ou un même marché. -Plusieurs études nationales et internationales ont fait ressortir que l'Algérie était l'un des pays les plus pauvres au monde en matière d'innovation. A quoi imputeriez-vous cet état de fait ? Effectivement, depuis quelques années, le Global Innovation Index nous classe avec les tout derniers pays en termes d'innovation. Comme d'autres indices qui sont maintenant régulièrement publiés, ils ne sont pas toujours neutres. Ils disent certainement des choses, mais pas tout. Il ne faut donc pas les ignorer, mais les prendre avec beaucoup de précautions. Cet index est calculé à partir de sept critères : le cadre institutionnel, le capital humain et la recherche, les infrastructures, le niveau de modernisation du marché, l'environnement des affaires, la connaissance et les produits technologiques et la créativité et les produits innovants. Chacun de ces critères est en soi une problématique très complexe et le tout est d'une complexité inouïe. Souvent, des moyens colossaux sont mis en œuvre pour améliorer ou moderniser tel ou tel domaine. Mais l'efficacité de ces actions est remise en cause par une culture rentière qui a fait naître des comportements d'assistanat, de dépendance et d'inertie qui constituent des obstacles à tout effort visant à encourager l'innovation et l'initiative. -D'après vous, quels pourraient être les moyens ou dispositifs à mettre en place pour sensibiliser les nouvelles générations à la culture de l'innovation et à l'entrepreneuriat ? D'abord, travailler à déconstruire cette culture rentière qui mine tout le système social en valorisant l'effort, le mérite et la responsabilité, et ceci commence par des innovations au niveau de la gouvernance de toutes les institutions qui doivent devenir plus inclusives, plus communicantes, plus transparentes, plus efficaces et qui savent reconnaître et récompenser les plus méritants. Ensuite, introduire des programmes de sensibilisation, avec des messages et des méthodes pédagogiques adaptés aux publics concernés, dans toutes les institutions et organisations (écoles, lycées, universités, entreprises…). Bref, pour sensibiliser à l'innovation et l'entrepreneuriat, c'est-à-dire les rendre désirables, il faut d'abord innover en termes de gouvernance, de programmes et de méthodes. -L'université algérienne fait-elle quelque chose dans ce sens ? Des exemples d'initiatives déjà prises ou en projets à même d'illustrer l'engagement de notre pays dans cette voie ? Bien sûr, dans la plupart des universités, il y a des programmes de recherche et de formation et des structures qui se mettent en place. En termes de programmes de recherche, par exemple, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique a initié les programmes nationaux de recherche (PNR) qui mettent en relation l'université avec d'autres secteurs et dont le but est de produire de la «recherche utile» en valorisant les résultats de cette recherche. Au niveau du ministère toujours, il existe une sous-direction de la valorisation de la recherche. Les agences thématiques de recherche ont aussi pour but de valoriser les résultats de la recherche, chacune dans son domaine. La recherche elle-même est menée dans les laboratoires des différentes universités et des centres de recherche. En termes de formation, certaines universités ont des formations en entrepreneuriat. A Annaba, par exemple, l'université offre des masters en entrepreneuriat, dont l'un a été conçu dans le cadre d'une coopération euro-maghrébine et traite d'un certain nombre de problématiques liées à l'entrepreneuriat dont celle de l'innovation. Enfin, en termes de structures, certaines universités ont mis en place des espaces qui ont trait à la création d'entreprises. A l'université Badji Mokhtar-Annaba, nous venons d'initier une opération de mise en place d'une maison de l'entrepreneuriat en partenariat avec l'Ansej. Un projet de création d'un département d'entrepreneuriat qui a eu l'aval du conseil d'administration de l'université a été déposé au niveau du ministère. Un incubateur d'entreprise est aussi prévu à l'université. Ces structures, en plus du laboratoire sur l'entrepreneuriat qui existe déjà, devront constituer un environnement propice à la création d'entreprise. -La recherche, le développement et l'innovation se sont avérés être trois axes clés sur lesquels s'appuie la pérennité des filières industrielles. Or, rares, très rares sont les entreprises algériennes à s'en être aperçues. Pourquoi ? Parce qu'en premier lieu la plupart d'entre elles n'ont pas l'envergure nécessaire pour se permettre une activité recherche et développement, cette dernière nécessitant un investissement important. En deuxième lieu, ayant jusque-là évolué dans un environnement national protégé, elles ne sont souvent pas prêtes à investir dans la modernisation de leur technologie, l'amélioration de leur process de production ou leur produit. Avec l'ouverture du marché algérien à la concurrence étrangère, ces entreprises connaîtront les plus grandes difficultés. -Dans des pays voisins, des aides financières sont mobilisées pour les porteurs de projets innovants. A l'inverse, chez nous, un argent fou est englouti dans des dispositifs d'emploi (CNAC, Ansej, Angem,…). Qu'en pensez-vous ? D'abord, l'Algérie est plus à l'aise financièrement que ses voisins immédiats. L'Algérie peut donc envisager les choses avec une autre philosophie. Du point de vue de la rationalité purement économique, la plupart des projets financés n'apportent pas grand-chose en termes de création de richesse ou d'emploi. Economiquement, les dépenses occasionnées par ces projets peuvent ne pas être justifiées. A l'Ansej, j'ai entendu l'argument suivant : un projet peut ne pas créer de la richesse ou de l'emploi, mais il donne un statut social au porteur de projet qui le met à l'abri de certaines pratiques et tentations dont les conséquences peuvent être coûteuses pour la société. A méditer. -Vous avez siégé, des années durant, à la commission locale d'évaluation des projets Ansej. Quel bilan faites-vous de l'état d'esprit en termes d'entrepreneuriat des jeunes promoteurs algériens ? Oui, pendant un certain temps j'ai représenté l'université au sein de la commission locale de financement des projets de création d'entreprise. J'ai eu à constater et à déplorer l'absence de stratégie de développement local et régional et l'absence d'informations fiables sur les activités économiques de la région. Ces deux éléments auraient pu aider à faire des choix en termes de créneaux à investir. C'était le libre choix des porteurs de projet qui prévalait, et ce choix portait la plupart du temps sur la location de voitures, le transport de marchandises…par imitation de ceux qui avaient déjà obtenu du financement pour leur projet. Et cela était valable pour tous les jeunes, qu'ils aient eu une formation ou pas. J'ai donc eu à préconiser la création d'un conseil économique et social qui pourrait aider à la définition d'une politique et une stratégie de développement local et régional, la création d'un observatoire de l'économie locale… Ces dispositifs contribueraient à un meilleur choix du créneau à investir pour le porteur de projet et à une décision de financement plus judicieuse. Mais, au-delà de ces préoccupations, j'ai eu à constater l'immensité de la tâche qui nous attend pour former cet entrepreneur. -Au-delà des constats, que faire pour remédier à la situation ? Presque partout dans le monde se développe l'idée de mettre en place des dispositifs de mise en réseau de compétences, de connaissances et de moyens sur un territoire donné afin de favoriser l'innovation et la création de valeur dans une économie de plus en plus basée sur la connaissance et de plus en plus mondialisée. Selon les contextes nationaux, ces dispositifs sont appelés «pôle de compétitivité», «district», «cluster», «kompetenznetze»… Entreprises, laboratoires de recherche, universités et autres organisations du territoire sont encouragés à entrer dans une démarche partenariale autour de projets innovants, à coopérer pour obtenir une masse critique et à développer un marketing du territoire pour gagner en compétitivité. En tant qu'universitaire, je pense que l'université a un rôle clé à jouer dans cette entreprise.