Le Cap Terre, Centre algérien du patrimoine culturel bâti en terre, installé à Timimoun, dans la wilaya d'Adrar, nouvellement créé, est chargé de faire la promotion des architectures de terre en Algérie. Tamanrasset de notre envoyé «L'image des matériaux locaux est complètement dévalorisée dans l'esprit des populations. Les gens ne veulent plus habiter dans des maisons construites avec ces matériaux. Il faut aider les gens à se réapproprier leur patrimoine. D'où la création du Cap Terre. Tout notre projet est basé sur l'idée de la réhabilitation de cette image. Nous n'allons pas réhabiliter les pierres ou les maisons, mais l'image de ces matériaux dans l'esprit des gens», nous a expliqué l'architecte Yasmine Terki, directrice du Cap Terre, un établissement public à caractère administratif. Le centre est divisé en deux départements techniques, dont l'un s'occupera de la recherche sur les matériaux et les techniques de construction. «Depuis cinquante ans, la commande de l'Etat en matière de construction est exclusivement axée sur les matériaux industriels. Cela veut dire que les maçons qui construisaient en terre ne le font plus. Les architectes sont formés à l'utilisation des matériaux industriels. Nous perdons un savoir-faire énorme cumulé au fil des siècles. Il n'y a qu'à voir La Casbah d'Alger. Lorsqu'on regarde comment elle a été construite, on se dit comment ses bâtisseurs ont acquis un tel niveau d'intelligence. Ce niveau-là n'est pas celui d'un individu, mais celui de toute une histoire. Génération après génération, chacun a apporté une pierre à cette construction», a-t-elle relevé. Elle a regretté qu'au nom de la modernisation du pays on mette de côté une précieuse masse d'information. « On a fait l'erreur de croire que la modernité ne pouvait pas faire bon ménage avec la tradition. La tradition n'est en fait qu'une modernité ancienne. A l'époque de la construction des maisons de La Casbah, c'était le summum de la modernité ! Ce qui est construit aujourd'hui sera une tradition dans le futur. Donc, notre combat sera de revenir à l'utilisation des matériaux locaux, retrouver l'intelligence des anciens bâtisseurs. Nous, en tant qu'architectes des sites et monuments historiques, réfléchissons sur des siècles pour ce qui est du patrimoine. Notre objectif est qu'on continue pendant des siècles à préserver ce patrimoine. C'est un travail de longue haleine», a soutenu Yasmine Terki. Selon elle, un siècle et demi de colonisation française a laissé des traces. «Un colonialisme qui a réussi à faire en sorte que les Algériens méprisent ce qu'ils étaient pour ressembler au colon. C'est triste à dire ! Certains ont rêvé à la modernité coloniale. Mais les autres ont préservé leur patrimoine. Paris est la ville la plus visitée au monde pour la simple que les centres historiques de la cité ont été préservés. C'est le cas de tous les villages de France. Des villages vivant aux temps présents aussi. En Algérie, on a fait croire aux gens que si l'on gardait les matériaux traditionnels, on vivrait comme nos arrières- grands-parents. Ce qui est totalement faux et absurde», a souligné la directrice du Cap Terre. Effondrement Le choix de Timimoun est motivé par le fait que les maisons bâties en terre sont toujours habitées à l'oasis rouge. Timimoun possède le plus grand ksar en terre d'Algérie. Yasmine Terki qualifie de dramatique le recours au béton dans les villes du Sud algérien comme Adrar, Béchar, Tamanrasset ou Ouargla. «Ce qui est plus grave, c'est qu'on donne des financements aux gens pour détruire des maisons en terre, qui ont plusieurs siècles, pour construire dessus des habitations en matériaux industriels, dont le béton. On paye les gens pour effacer l'identité de nos villes. C'est l'architecture qui donne aux villes leur identité. Je pense que ces décisions sont prises par ignorance et par inconscience. Je ne crois pas à la destruction volontaire. C'est juste qu'on ne sait pas ce qu'on est en train de faire», a-t-elle regretté. D'après elle, des techniciens, «formés à l'école du béton», disent à leurs ministres que l'adobe est un matériel dangereux. «Ils leur disent que les maisons construites en adobe s'effondrent à la tombée de la pluie ! Pourtant, des ksour construits en terre résistent depuis douze à quinze siècles. On ne peut pas dire donc que les matériaux locaux ne sont pas durables», a souligné l'architecte. Yasmine Terki a cité l'exemple de l'effondrement d'une partie d'une tribune au stade du 5 juillet à Alger tuant deux jeunes supporters. «C'est un stade qui a à peine quarante ans d'existence et il s'effondre déjà. Pourtant, il a été construit en béton armé, cet exemple raconte bien ce que sont les matériaux industriels. Des matériaux jetables !», a-t-elle constaté. Selon elle, les pierres et la terre peuvent toujours être récupérées pour construire d'autres maisons. Ce n'est pas le cas pour le béton, une matière irrécupérable. «On peut même réutiliser des pierres de l'antiquité !», a-t-elle appuyé. L'Etat a, selon elle, la responsabiité de faire des commandes pour des constructions contemporaines en terre et en pierres. «C'est le meilleur moyens pour que les populations suivent», a-t-elle noté.