Disparu le 19 avril 2011 à Oran, Ahmed Kerroumi est retrouvé mort cinq jours après, à l'intérieur du siège du Mouvement démocratique et social (MDS), dont il était l'un des cadres. Intellectuel, philosophe, militant du MDS et membre actif de la CNCD d'Oran, tous ceux qui le connaissaient pensent que sa mort est «un assassinat politique». Les avocats et les défenseurs des droits humains qualifient le dossier de «bâclé» et le procès prochain, programmé pour le 9 décembre 2013 de«mascarade». La famille du défunt demande justice et vérité, tandis que le père de l'accusé, l'innocence de son fils. Qui a donc tué Ahmed Kerroumi ? Et pourquoi ? L'assassinat d'Ahmed Kerroumi est intervenu quelques jours seulement après sa rencontre avec Frank la Rue, le rapporteur spécial de l'ONU, chargé de la promotion et de la protection du droit à la liberté, l'opinion et l'expression, intervenue dans un contexte politique spécifique, marqué par l'avènement des révolutions arabes et le brouillement de la société civile en Algérie, notamment de la CNCD à l'époque, fortement active à Oran. Trois ans après son assassinat, les mêmes questions restent posées. Personne ne veut accepter la version avancée jusque-là. Sa famille, ses proches, ses amis, ses camarades de lutte au MDS, ses élèves et ses étudiants déclarent que la thèse du jeune assassin présumé ne tient pas la route. «Tous les éléments constituant l'affaire poussent à croire que l'accusé n'est pas le vrai assassin et que l'assassinat d'Ahmed Kerroumi est politique jusqu'à preuve du contraire», déclare Messaoud Babadji, enseignant universitaire, défenseur des droits humains et ami du défunt. Un avis partagé par le coordinateur national du MDS, Hamid Ferhi, qui craint une manipulation qui aurait pour objectif la désorientation de l'opinion publique sur les faits et les vrais objectifs de l'assassinat. «L'institution judiciaire est coupable, au minimum, de légèreté dans le traitement de ce dossier. L'assassinat de Kerroumi a glacé tous les militants démocrates, et les regards sont naturellement tournés vers le pouvoir», déclare Hamid Ferhi. Les avocats de la partie civile, qui prendront en charge l'affaire au niveau du tribunal criminel lors du prochain procès, ont aussi exprimé leurs doutes. «Il y a certaines anomalies dans le dossier, notamment par rapport à la scène de crime et son déroulement. Les déclarations de l'accusé sont contradictoires, ce qui nous donne la possibilité de plaider cette affaire sous plusieurs angles», déclare maître Sid Ali Boudiaf, défenseur des droits humains et avocat de la partie civile, mandaté par le MDS. «L'instruction a été bâclée. Nous demandons que toutes les conditions nécessaires soient réunies afin d'assurer un procès équitable», ajoute maître Khemisti, avocat mandaté par la famille du défunt. Le père du présumé assassin, Belhadri, conclut que son fils, Mohamed Abdelkader Belbouri, 30 ans, livreur de boissons énergisantes, n'a servi en réalité que de bouc émissaire pour cacher les vrais assassins d'Ahmed Kerroumi. «Mon fils est innocent et j'insiste là-dessus. Il a été victime d'un accident de la route le lendemain de la découverte du corps du défunt. La vidéo qui prouve son passage au niveau du dispensaire a été effacée après avoir été récupérée par les services de police», déclare le père de l'accusé, enseignant à l'Institut de télécommunication d'Oran. D'après lui, le rapport de la police explique que l'accusé a simulé l'accident, alors que le jeune se trouvait sur sa motocyclette dans la bande est d'Oran. Le corps de Kerroumi, quant à lui, a été retrouvé dans la bande ouest d'Oran, déclarent les amis du défunt qui ne veulent pas divulguer leurs noms du fait qu'ils sont témoins à charge. «Si l'assassin est l'accusé, pourquoi on ne retrouve toujours pas le véhicule et le cartable du défunt ?», s'interrogent-ils. Les proches et les militants du MDS d'Oran parlent eux aussi des anomalies du dossier. «Comment se fait-il que mon numéro et ceux de tous mes proches ont été effacés du listing du téléphone de mon mari que j'ai récupéré chez l'opérateur. Et pourquoi, l'intervalle de temps, allant de 12h à 17h, qui est celui où mon mari a reçu le fameux appel avant son kidnapping, n'indique aucun appel reçu à ce moment-là, alors que nous n'avons pas arrêté de l'appeler ?», s'interroge, Khadidja Kerroumi, veuve du défunt et enseignante au lycée. Tous les amis, camarades de lutte du défunt se demandent pourquoi, leurs appels ont-ils été aussi effacés. «On dirait que tout a été fait pour que l'affaire soit endossée à quelqu'un de l'extérieur», déclarent-ils. «Avec Ahmed, j'étais comme une reine. C'était l'homme idéal, mon ange. Les anges sont rares et c'est la raison pour laquelle ils disparaissent sans prévenir», ajoute Mme Kerroumi, qui retient ses larmes par pudeur. Ahmed Kerroumi est connu pour être un rassembleur. Chercheur associé au Crasc, il a participé à plusieurs recherches sur l'élites et le statut des sciences sociales et humaines en Algérie. Il a à son actif plusieurs ouvrages philosophiques, notamment, Institution et enseignement au pays du Maghreb ou le cognitif et l'idéologique dans le manuel scolaire des sciences humaines : Cas de l'enseignement secondaire. Syndicaliste et enseignant au lycée d'Arzew, puis à l'université d'Oran après avoir obtenu son magister, il devient, quelques années plus tard, chef de département des sciences humaines de la même université et préparait un doctorat dont il avait fini la rédaction quelques jours seulement avant son assassinat. Philosophe, militant associatif et politique, encadreur, cadre du MDS et élément actif et important de la CNCD d'Oran, Ahmed Kerroumi était sur tous les fronts. «Il est synonyme de stimulateur. Il était mon enseignant de philosophie au lycée et on était ensemble à la CNCD d'Oran où il a joué un rôle important dans le maintien de la cohésion du mouvement», déclare Rihab Alloula, étudiante, comédienne et fille du défunt dramaturge algérien, Abdelkader Alloula. De son côté, AdlaneMouri, militant associatif à Oran, retient de lui, le philosophe dont il suivait attentivement les interventions. Son amie, Fatma Boufenik, attristée par sa disparition, voit en lui le symbole de l'ouverture d'esprit. «Il s'intéressait beaucoup à la philosophie musulmane et synthétisait parfaitement la culture algérienne et la modernité dans toute sa pluralité», raconte Fatma Boufenik, enseignante d'économie à l'université d'Oran. «On veut connaître la vérité et non la commenter», ajoute Cheklalia Malik, ancien militant du PAGS. «Nous n'acceptons pas de participer dans un souk à tout prix, car nous voulons une justice à tout prix», déclare, Kadour Chouicha, responsable de la section d'Oran de la LADDH. De son côté, le MDS a déjà commencé sa campagne de sensibilisation autour de la vérité sur l'assassinat d'Ahmed Kerroumi. Un rassemblement est prévu, le 9 décembre 2013, le jour du procès devant le tribunal criminel d'Oran. Tandis que des tracts seront diffusés en pleine ville, à Alger comme à Oran.