Les films algériens ont fait vibrer les écrans avec Allouache et la nouvelle génération... Pour sa cinquième édition, le Maghreb des Films a concocté une programmation de qualité, répartie entre l'Institut du Monde Arabe (20/25 novembre) et la salle de cinéma La Clef (27 novembre au 2 décembre) drainant un public nombreux dans l'auditorium Rafik Hariri de l'IMA et un noyau de cinéphiles passionnés dans l'enceinte de La Clef. Cette édition, qui confirme la progression et l'audience de la manifestation, a été marquée par le trentenaire de la Marche pour l'Egalité et contre le racisme, dite «Marche des Beurs» (octobre 1983), anniversaire qui s'est traduit ici par la présentation du long métrage de Nabil Ben Yadir La Marche et du documentaire de Samia Chala, La Marche, chronique des années beurs (lire El Watan Arts & Lettres du 30/11/13). Après s'être successivement consacré à la Tunisie en ébullition et au Cinquantième anniversaire de l'Indépendance de l'Algérie, le Maghreb des Films s'est focalisé cette année sur le cinéma marocain et ses dernières fournées. Ces rencontres qui, chaque année, font le point sur la production récente venue du Maroc, de Tunisie, d'Algérie, voire de Libye, ont été dominées par l'avant-première hexagonale du dernier opus de Merzak Allouache, Es Stouh (Les Terrasses), remarqué à Venise et primé à Abu Dhabi avec le Grand Prix du meilleur film arabe et la distinction suprême de la critique internationale (Fipresci). Il a fallu rajouter des sièges aux 420 places de l'auditorium de l'IMA, tant l'engouement pour les films d'Allouache est désormais une constante, même si les distributeurs ne se sont guère manifestés jusque-là… Mais cela ne saurait tarder au vu d'un film qui prendra place dans le panthéon de l'œuvre du cinéaste. En un laps de temps très court – onze jours – et une économie de moyens, Allouache a promené sa caméra au faîte de cinq quartiers populaires d'Alger (La Casbah, Notre-Dame-d'Afrique, Bab El Oued, Alger-centre et Belcourt) renvoyant, in fine, une image pertinente de la société algérienne, celle des exclus et des marginaux qui se débattent dans un univers marqué par la violence. De fait, Es Stouh est un film à la fois dur et rude, qui ne ménage guère les travers d'une ville vouée à la dégradation du bâti pour le décor, et aux rapports de force pour ce qui est des relations entre ces habitants accrochés à leurs terrasses comme des naufragés à un radeau. Ce qui séduit d'emblée, c'est la structuration du récit centré sur une journée scandée par les cinq prières quotidiennes qui ne modifient en rien le vécu d'enfermement des habitants de ces lieux à l'écart d'un monde devenu profondément inégalitaire et voué à la déchéance ou au désespoir malgré des trouées empreintes d'humour (le groupe de musiciens ou l'équipe de tournage). La brutalité des rapports sociaux règne en maître dans une société de la malvie, thème cher à Allouache, et du déclassement. La caméra épouse les contours d'un stéthoscope posé ici ou là pour entendre les cris et même les silences qui sont autant de protestations muettes s'agissant de la relégation sociale des uns et des autres selon un déterminisme lui aussi social. La structure filmique n'est pas sans rappeler La Terrasse de l'italien Ettore Scola (1979) où, là aussi, s'entremêlaient cinq récits avec, côté Allouache, une forme de fluidité dans la mise en scène qui nous fait passer d'un quartier à l'autre, d'une terrasse à l'autre, de personnages à d'autres, tous d'une forte épaisseur psychologique renforçant la dimension du réalisme social. Reste à espérer qu'on n'attendra pas un an, comme pour Le Repenti, afin de montrer Les Terrasses en salles à Alger… L'œuvre demeure en tout cas à nos yeux un film libre, sans concession quant à «pointer» les tares sociales qui vont de la religion instrumentalisée à la corruption, en passant par un chaos qui a gangréné l'ensemble de la société algérienne… Dans ce Maghreb des Films, la part belle fut faite à la nouvelle génération de cinéastes algériens qui, entre les deux rives, n'hésitent pas à emprunter des chemins de traverse pour témoigner du présent, faisant fi des aides institutionnelles subordonnées à un contrôle éditorial auquel cette nouvelle vague se refuse. Aussi, rien d'étonnant si le résultat affiche des œuvres frappées du sceau de la liberté de ton et de style. Ils ont pour noms Karim Moussaoui (lire interview page 14), Bahia Allouache, Hassen Ferhani, Myriam Hammani, Damien Oumouri, Amin Sidi-Boumediene, Djamil Beloucif, Djamel Kerkar, Lamine Ammar Khodja. Ils incarnent le renouveau, un souffle salvateur et un ancrage dans le réel et le présent. Quand leurs aînés continuent souvent à arpenter la mémoire de la guerre d'indépendance, ils consacrant une forme de rupture en tournant le dos à une culture des mythes fondateurs qui ne les inspire guère. Outre le critère de la liberté critique, leur commun dénominateur, ces jeunes pousses innovent surtout en questionnant l'écriture et la forme, remettant en cause les codes classiques du récit narratif. Ainsi, Hassen Ferhani «tricote» entre la quête historique et l'inspection documentaire pour évoquer le quartier Cervantès et la cinéphilie dans Tarzan, Don Quichotte et nous. Ainsi, Lamine Ammar-Khodja, dans Demande à ton ombre, œuvre aux frontières du documentaire, convoquant les printemps arabes et les émeutes algériennes, avec la fiction portée par un personnage unique. Ainsi, Amin Sidi-Boumediene explore les limbes de l'imaginaire dans L'Ile (Al Djazira) et apparaît sans doute comme un des derniers cinéastes maghrébins à investir le fantastique cher à Ray Bradbury – auquel il rend hommage – signant des images et une bande son très fouillées, génératrices d'une atmosphère qui habite ce récit où l'étrange le dispute à une fin ouverte. Ainsi encore, Karim Moussaoui dont Les Jours d'avant, moyen métrage, évoque la non-rencontre homme/femme dans un montage parallèle sur fond de montée du terrorisme islamiste. Ainsi enfin, Myriam Hammani dont Les Lettres intimes (62') est un voyage dans le temps et l'espace à base de «collages», empruntant ses codes à l'art pictural. A leur propos, nous revient en mémoire la formule de Jean-Luc Godard selon laquelle «c'est la marge qui tient la feuille». Côté marocain, la fiction se porte bien. Zéro de Nourredine Lakhmari confirme l'existence au Maghreb de films de «genre», en l'occurrence ici un polar social qui évoque de loin Martin Scorsese. Côté tunisien, l'hommage qui lui a été consacré confirme le talent multi-facettes de Walid Tayaa dont le documentaire sur la première femme journaliste arabe, Dorra Bouzid, une Tunisienne un combat, a séduit le public de l'IMA. Bref, 2013 au Maghreb est un bon cru cinématographique !