Le chercheur canadien, Frantz Rieger, a mis en évidence un phénomène d'une extrême importance pour notre pays. Ses travaux stipulent que les pays en voie de développement adoptent des comportements humains intuitifs alors que les nations avancées encouragent des postures analytiques. Une personne intuitive prend ses idées pour des réalités. Elle décide en fonction de la première impression, de ses perceptions et de ses pressentiments. L'intuition est parfois bonne mais souvent fausse. Frederick Winslow Taylor l'a superbement démontré. Depuis des milliers d'années, et ce, bien avant lui, les maçons construisaient des édifices. Taylor démontra que leur système d'organisation de la production était défectueux, précisément parce qu'ils travaillaient par impression. Taylor analysa méticuleusement leur manière de procéder. Il reconfigura leur manière de travailler. Le processus aboutit à la création du travail à la chaîne où chaque ouvrier effectuait un nombre limité de gestes, parfois un seul. Cette division mécanique du travail plus communément appelée OST (Organisation scientifique du travail) permit une amélioration des outils de production. Ainsi, la productivité s'améliora avec un doublement voire un triplement de la production avec un système de motivation basé sur une rémunération variable. Mais en ce qui nous concerne, l'ingénieur américain mit en évidence la supériorité des décisions analytiques sur les choix intuitifs. Bien sûr que le système Taylorien recèle d'innombrables carences mentionnées par de nombreux auteurs : exclusion de la participation, aliénation, etc. Mais c'est uniquement l'aspect analytique du processus qui nous intéresse. Que peut-on tirer pour notre pays ? Un pays où la vaste majorité des décisions sont intuitives n'a aucune chance de se développer. En revanche, une nation qui cultive la concertation, l'utilisation de l'intelligence de tous, - notamment de ses élites - développe les potentialités humaines à leur summum et les utilise efficacement n'a pas besoin d'une rente. Des millions de décisions sont prises par les responsables et les simples citoyens d'un pays. Si elles sont majoritairement intuitives (Algérie), elles détruisent les ressources du pays. Si elles sont analytiques (Corée du sud, Malaisie, Chine, etc.), elles construisent le devenir de la nation. Nous avons testé cette hypothèse. Nous avons pris des cadres moyens de grandes entreprises algériennes qui ne disposent pas de compétences suffisantes pour réorganiser leur entité. Nous leur avons demandé de concevoir des organigrammes. Tous l'on fait, en une journée mais en fonction de leur intuition, tout simplement. Dans un pays à culture analytique, les personnes prendraient en considération la stratégie, les facteurs clés de succès et se concerteraient avec d'autres. On va analyser les réussites et les échecs d'autres types d'organisations. Une décision importante est mûrie et prise en fonction de paramètres rationnels. Deux facteurs minimisent les nuisances des mauvaises idées intuitives : les références par rapport à la science et aux bonnes pratiques et les concertations. Des Conséquences mal appréciées Le summum de la rationalité est matérialisé par les simulateurs économiques. Le système FRB-MIT, qui met sous forme des centaines d'équations l'économie américaine est souvent mise à contribution pour rationaliser les décisions. L'INSEE en France pilote le DMS, les coréens, les Malaisiens ont appris à utiliser des simulateurs, certes moins sophistiqués mais leurs décisions sont plus rationnelles. Ce qui explique en grande partie leurs réussites. Il ne faut nullement idéaliser ces méthodes quantitatives. Ils ont des défaillances. Ils loupent certaines variables décisionnelles importantes. Ils quantifient mal les perceptions humaines. Mais leur intégration dans le processus de développement minimise l'intrusion de données subjectives. La crise des Subprimes n'a pas été évitée par cet arsenal coûteux. La crise mondiale persiste et s'enracine malgré les gros simulateurs des pays développés, ce qui montre leurs insuffisances. Mais ils évitent beaucoup les grossières erreurs que font nos responsables. Nous avons développé une culture intuitive au-delà de l'imaginable. Des décisions importantes et de moindres conséquences sont prises sur des bases subjectives. Il ne faut donc point s'étonner des nombreux dérapages qui caractérisent notre économie nationale. Prenons un simple exemple concret : selon quelques données disponibles, de 1990 à 2005, les subventions, assainissements financiers et crédits de complaisance qui ne seront jamais remboursés par les entreprises publiques ont dépassé les 60 Milliards de dollars. La raison essentielle évoquée par les pouvoirs publics et certains économistes se résume à deux paramètres : l'emploi (480 000 dans le secteur public et l'outil de production). Or, un simple calcul arithmétique montre que si on avait injecté ces ressources pour créer un nouveau tissu de PME/PMI on aurait permis de créer au moins plus de deux millions d'emplois et un triplement de la capacité de production des entreprises publiques ainsi qu'une amélioration de leur potentiel d'exportation d'au moins neuf milliards de dollars par an. Si nous avions un simulateur rudimentaire, ses clignotants auraient viré au rouge dès lors qu'on lui injecterait ces paramètres. Voilà ce à quoi aboutissent les décisions irréfléchies. Une intuition est parfois bonne. Elle peut constituer un bon point de départ, une alternative. Mais il faut la compléter par des analyses, des concertations et des précautions d'usage. Lorsque les intuitions des dirigeants deviennent la principale source d'inspiration des politiques économiques, le désastre n'est pas loin. Nous avons inculqué à nos citoyens à tous les niveaux qu'ils savent tout. Ils prennent des décisions sans se référer ni à la science ni à l'expérience d'autrui. Ce faisant, ils détruisent le pays sans le savoir. Il faut une tout autre approche radicalement différente afin que nos citoyens se rapprochent plus du comportement analytique. Une nation «intuitive» n'a aucune chance de s'en sortir dans un monde de plus en plus rationnel dans son aspect amélioration de la productivité et de la compétitivité. Il peut être irrationnel dans d'autres (environnement, partage de richesses, etc.). Ne rien faire contre cela serait se condamner au sous-développement.