Un régime qui fait peu de cas de la démocratie ne peut pas s'encombrer de scrupules pour instrumentaliser une question aussi sensible que celle de la protection des droits de l'homme. Les derniers développements de la vie politique nationale attestent que la préoccupation première de l'équipe au pouvoir est de protéger son règne, de renforcer le caractère autocratique du système, au risque de «rétablir» le culte de la personnalité que l'on pensait révolu depuis des décennies. Les stratèges du pouvoir algérien sont les seuls au monde à croire que le fait de décerner un «Prix national des droits de l'homme» au chef de l'Etat est une avancée pour le pays dans le domaine de la protection des libertés et des droits humains. Cela s'est passé hier à Alger, lors d'une cérémonie organisée par la Commission consultative des droits de l'homme présidée par Farouk Ksentini. C'est, bien entendu, un représentant de la présidence de la République qui a réceptionné cette palme nouvellement instituée. Le même jour, pendant que le gotha des droits de l'homme se réunissait dans un hôtel de la capitale, le chef de l'Etat recevait le vice-ministre de la Défense, chef d'état-major de l'ANP, pour un exposé sur la sécurité dans le pays et aux frontières. Cette activité martiale, bien que statique, ne manque pas d'interloquer en cette journée célébrant le 65e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. La même journée a été également marquée par des répressions policières à Alger contre des manifestations organisées par des collectifs réclamant plus de droits dans le pays. Il y a, en fait, plus de cartons rouges que de médailles à décerner aux dirigeants algériens qui combattent inlassablement toute expression libre, organisent la surveillance et la neutralisation de toutes les organisations autonomes, syndicales ou politiques. L'on a appris récemment que la surveillance des partis politiques passera du renseignement militaire aux renseignements généraux. Les leaders politiques découvrent ainsi qu'ils étaient sous la surveillance croisée des militaires et des policiers. Les hommes politiques n'étant pas forcément des délinquants, du moins ceux de l'opposition, les filatures policières seraient avantageusement réorientées vers les milieux maffieux qui prospèrent ouvertement dans toutes les villes. Mais les scénarios les plus catastrophiques font craindre que ces mêmes milieux soient tout bonnement intégrés dans des stratégies électorales inavouables. Cela a été adopté dans de précédentes campagnes électorales, dans des régions connaissant une forte tension politique et sociale, comme la Kabylie. Loin des cérémonies factices dans les salons luxueux des hôtels, le chemin pour la consécration des droits de l'homme est encore long. Il se confond, en fait, avec celui de la lutte pour l'instauration de la démocratie. Un même combat qui a connu plusieurs épisodes, dont celui de juin 1985, lorsque les initiateurs de la première Ligue algérienne des droits de l'homme, tous issus du Mouvement culturel berbère, avaient atterri devant la Cour de sûreté de l'Etat.